L’Acacia en franc-maçonnerie
À côté des outils empruntés aux maçons opératifs, des réminiscences du Temple de Salomon, telles les colonnes B et J, et de l’emblème pythagoricien du Pentagramme, la franc-maçonnerie symbolique honore tout particulièrement un symbole végétal, l’Acacia. En franc-maçonnerie, l’Acacia est associé à la légende d’Hiram et se retrouve très fréquemment sur les décors maçonniques du grade de Maître et de certains hauts grades. Mais saviez-vous que d’autres plantes ont concurrencé l’Acacia dans certains rituel de la franc-maçonnerie du XVIIIe et même du XIXe siècle ? C’est le cas de la Cassia (casse) et du Tamaris. Quelle est donc le symbolisme de l’Acacia et de ces deux autres végétaux dans la franc-maçonnerie ?
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La Cassia, première plante associée à la légende d’Hiram
La légende d’Hiram semble s’être introduite en franc-maçonnerie peu avant 1730 et n’appartient pas au noyau originel de la freemasonry spéculative du XVIIe siècle. La scène du relèvement du corps d’Hiram semble avoir été empruntée à une légende maçonnique similaire, qui traitait de la découverte du corps de Noé par ses trois fils. On en trouve la mention dans le manuscrit Graham de 1726, mais aucun symbole végétal n’intervient dans le récit.
Il faut attendre le Masonry Dissected de Samuel Pritchard (1730) pour trouver la première description du grade de Maître tel que nous le connaissons aujourd’hui. Selon Pritchard, comme c’est toujours le cas de nos jours, les trois assassins d’Hiram marquèrent le lieu où ils avaient enfoui son corps à l’aide du rameau d’un arbre ou arbuste, mais contrairement à la forme adoptée plus tard, il s’agit ici d’une branche de Cassia.
Il ne s’agit pas ici d’écrire un traité de botanique pour définir ce qu’est la Cassia. Le terme Cassia peut désigner différents arbustes, entre autres la Casse, le Senné (Senna), le Faux Senné (Cassia Fistula) ou le Cannelier de Chine (Cinnamonum Cassia). On le rapproche souvent du Qetsi’ah, mentionné une fois dans la Bible et que l’on traduit parfois par cannelle. Dans tous les cas, il s’agit d’un arbuste aux fleurs jaune et aux vertus médicinales et aromatiques reconnues. La Cassia est ainsi connue de différentes cultures, où elle est souvent interprétée comme un symbole de force intérieure, de résilience et de résistance aux épreuves.
La Cassia a aussi été utilisée dans des rites funéraires, comme le rappelait l’auteur de A Defence of Freemasonry de 1731, où l’on peut lire : "On nous dit que les Frères ont placé une branche de Cassia à la tête de la tombe d'Hiram, ce qui fait référence à une ancienne coutume dans ces pays orientaux d'embaumer les morts, en particulier en préparant la tête et en séchant le cerveau, comme l'explique plus particulièrement Hérodote."
La Cassia avait donc de bonnes raisons d’être choisie pour figurer dans la légende. Ses fleurs d’un jaune éclatant évoquent la lumière, elle est symbole d’endurance dans les épreuves et elle servait dans des rites funéraires. Alors pourquoi a-t-elle été supplantée par l’Acacia ?
Le triomphe de l’Acacia
Aujourd’hui, pratiquement tous les rituels maçonniques ont opté pour l’Acacia, mais on peut se demander quand et pourquoi cette modification s’est effectuée. C’est probablement en France que l’on trouvera la réponse à ces questions.
Dès les années 1740, on trouve l’Acacia dans les rituels maçonniques français. C’est le cas notamment du manuscrit Luquet, l’un des deux plus anciens rituels manuscrits français connus (vers 1745), et de la divulgation Le Sceau Rompu (1745). Mais comment est-on passé de Cassia à Acacia ?
Vraisemblablement par une simple homophonie entre "la Cassia" et "l’Acacia", d’autant plus explicable par le caractère essentiellement oral des anciennes pratiques rituelles des francs-maçons.
Mais encore fallait-il que cette homophonie fît sens. Et c’était le cas, car l’Acacia a encore plus de lettres de noblesse que la Cassia. Ne le dit-on pas imputrescible, capable de renaître après les incendies et donc symbole de renaissance et d’immortalité ? Mais surtout, selon la Bible, c’est le bois qui servit à la construction de l’Arche de l’Alliance, du mobilier liturgique et des piliers du Tabernacle, le Temple itinérant institué par Moïse dans le désert (Exode, chapitres 25 à 27). La tradition chrétienne affirme quant à elle, sans référence scripturaire, que la Croix du Christ et la couronne d’épine était faites d’Acacia. Et dans certaines versions de la légende d’Osiris, le corps du dieu assassiné reposa près d’un Acacia.
Si la Cassia avait de bonnes raisons d’illustrer la légende d’Hiram, l’Acacia en avait de meilleures, car il rattachait la mort d’Hiram à l’Arche de l’Alliance et à l’idée de renaissance et de résurrection induite par les figures du Christ et d’Osiris.
Mais comment expliquer qu’une homophonie entre "la Cassia" et "l’Acacia" en français ait imposé à l’ensemble de la franc-maçonnerie le symbole de l’Acacia ? Les rituels anglais (que ce soit Emulation ou les autres rituels en usage dans la Grande Loge Unie d’Angleterre, tels le Taylor, le West End etc) connaissent tous l’Acacia. Serait-il alors admissible que sur ce point les rituels maçonniques français aient pour une fois influencé les usages maçonniques anglais et non l’inverse ?
Cela nous semble tout à fait vraisemblable et nous allons tenter d’y trouver une explication. La Cassia était clairement la version en usage chez les Modernes, c’est-à-dire les Loges de la Première Grande Loge de Londres (1717), car c’est une divulgation de leur rituel qui nous le révèle (Pritchard 1730). On ignore en revanche si un symbole végétal équivalent apparaissait dans les rituels des Anciens, dont la Grande Loge fut fondée en 1753. En tout cas la divulgation The Three Distinct Knocks de 1760, qui révèle les usages rituels d’une Loge des Anciens, n’en mentionne aucun.
Mais l’on sait très bien qu’il y eut beaucoup de contacts entre les francs-maçons jacobites exilés en France et les Loges françaises. Or les Jacobites avaient généralement plus d’affinités avec les Anciens qu’avec les Modernes, inféodés à la dynastie hanovrienne. C’est donc vraisemblablement par eux que l’Acacia français pénétra la franc-maçonnerie anglaise des Anciens. Et lors de l’union des deux Grandes Loges en 1813 pour former la Grande Loge Unie d’Angleterre, on sait que les usages rituels des Anciens furent adoptés et c’est très vraisemblablement à partir de là que l’Acacia remplaça la Cassia dans les rituels anglais.
Un outsider : le Tamaris
Si l’Acacia semble s’être imposé dans l’ensemble de la franc-maçonnerie mondiale, une troisième variante apparut en France au sein du Rite de Misraïm. Dans le rituel misraïmite rédigé entre 1815 et 1820, on ne trouve mention ni de Cassia ni d’Acacia, mais de Tamaris.
Pourquoi cette nouvelle variante, qu’apporte-t-elle de nouveau par rapport aux deux premières ? Connu de la Bible et de nombreuses cultures anciennes (Égypte, Grèce, Scandinavie, Chine, Japon…), le Tamaris véhicule un symbolisme qui n’est pas très éloigné de celui du Cassia et de l’Acacia : force, endurance, fécondité, longévité et immortalité. Mais c’est bien évidemment son inscription dans la tradition égyptienne qui va pousser l’auteur du rituel misraïmite à le choisir.
Les sources égyptiennes affirment généralement que le corps d’Osiris reposa près d’un Acacia ou d’un Sycomore. Mais il faut bien comprendre que ces sources restèrent inaccessibles aux lecteurs modernes jusqu’au déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822. Les créateurs de la franc-maçonnerie égyptienne n’avaient donc accès à l’Égypte ancienne qu’au travers des écrits des auteurs grecs (Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon, Plutarque…) et dans une moindre mesure latins (Pline l’Ancien, Apulée…).
Faisant preuve d’une certaine érudition, c’est certainement chez Plutarque que l’auteur du rituel misraïmite découvrit le Tamaris, qu’il choisit d’introduire dans sa légende d’Hiram, au lieu de la Cassia ou de l’Acacia, afin d’égyptianiser davantage son propos. Plutarque rapporte en effet une version du mythe d’Osiris inconnue dans les sources égyptiennes : selon cette variante, le corps d’Osiris, placé dans un coffre, fut livré aux flots de la mer et dériva jusqu’à s’échouer contre un Tamaris à Byblos en Phénicie (actuellement Jbeil, au Liban). Le Tamaris grandit autour du coffre, qu’il finit par englober, et le roi de Byblos, émerveillé de la croissance inhabituelle de cet arbre, le fit couper pour en faire une colonne de son palais. À la recherche du corps de son époux, Isis parvint à obtenir la colonne, en dégagea le corps d’Osiris, qu’elle embauma et ramena en Égypte.
Cette légende avait au moins deux raisons de retenir l’attention de l’auteur du rituel misraïmite : tout d’abord, le Tamaris était explicitement intégré à la découverte du corps d’Osiris et pouvait ainsi tout naturellement trouver sa place dans la légende d’Hiram. Ensuite, le fait que le corps d’Hiram se soit retrouvé à l’intérieur d’une colonne devait être très parlant pour un auteur de rituel maçonnique. On pourrait même ajouter une troisième raison si l’on suppose que l’auteur avait également connaissance des écrits botaniques de Pline l’Ancien, qui affirme que les prêtres égyptiens portaient des couronnes faites de rameaux de Tamaris.
Le choix du Tamaris était donc tout à fait judicieux pour souligner la dimension égyptienne du rituel, et l’on peut regretter que le Rite de Misraïm utilisé de nos jours (dit Rite de Venise 1788), qui date des années 1980 seulement, n’ait pas suivi son illustre prédécesseur sur ce point et se soit aligné sur l’Acacia.
Conclusion
Acacia, Cassia ou Tamaris ont tous trois de bonnes raisons d’avoir été choisis pour illustrer la légende d’Hiram dans les rituels maçonniques. Probablement jugé plus prestigieux que ses concurrents, l’Acacia s’est finalement imposé, mais les différents rites auraient très bien pu conserver des variantes différentes. L’uniformisation des usages rituels, comme ce fut souvent le cas au cours du XIXe siècle entre le Rite Français et le Rite Écossais Ancien Accepté, est-elle une nécessité ? Pas forcément, car chaque rite a son histoire, son style, sa sensibilité, et demande à être respecté dans ses spécificités. L’universalité de la franc-maçonnerie devrait s’exprimer au travers de ses diversités et non malgré elles, car l’uniformisation implique nécessairement un appauvrissement et la perte d’éléments symboliques pourtant pertinents.
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