La franc-maçonnerie est-elle une secte ? Cette question, beaucoup de gens se la posent et certains même ne s’embarrassent pas d’une formulation interrogation pour affirmer que la franc-maçonnerie est bel et bien une secte. Mais qu’est-ce qu’une secte, et la franc-maçonnerie en est-elle une ? Le terme secte est malheureusement galvaudé et n’a plus guère de signification précise aujourd’hui. Commençons donc par retracer l’évolution du mot secte, de son origine à nos jours. Puis nous tenterons de comprendre s’il peut ou non s’appliquer à la franc-maçonnerie.


L’origine et l’évolution du terme secte 

À l’origine, dans l’Antiquité, le mot latin secta, de même que son équivalent (mais non synonyme) grec hairesis, est un terme descriptif neutre qui n’implique aucune connotation négative. Secta vient du verbe sequi, qui signifie suivre. Il désignait simplement l’ensemble des personnes qui suivaient un enseignement spécifique, particulièrement philosophique. On parlait ainsi par exemple de la secte des platoniciens, des stoïciens ou des épicuriens. Secte signifiait donc uniquement école ou courant de pensée. Le grec hairesis, qui a donné le terme hérésie, signifiait la même chose, à partir d’un autre verbe, haireô, qui signifie choisir, prendre, préférer. 

 

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L’Académie de Platon, mosaïque romaine, Pompéi

 

Ce n’est qu’avec l’apparition du christianisme que secte et hérésie vont être affublés d’un sens péjoratif et polémique. Ce sont les hérésiologues des premiers siècles de l’ère chrétienne qui les premiers affirmèrent que secta venait du verbe secare, couper. Ainsi le message était clair : une secte, c’était un groupe qui s’était volontairement séparé de la seule vraie Église pour suivre une doctrine dissidente, par définition fausse. Le grâce hairesis, devenu heresia en latin, suivit la même évolution, n’en venant à désigner qu’une doctrine déviante par rapport à l’orthodoxie de l’Église.

Ces deux termes furent abondamment utilisés aux moyen âge, pour lutter contre toute forme de dissidence religieuse, puis plus tard dans le contexte de la Réforme protestante. Le mot secte en vint d’ailleurs au sein du monde protestant à définir les nombreuses scissions et dissidences qui marquent encore aujourd’hui ce courant, qui ne constitua jamais une Église unique. Quasiment synonymes à l’origine, secte et hérésie se distinguèrent réellement dans le contexte de la lutte des Églises chrétiennes contre les dissidences, hérésie désignant une doctrine déviante et secte une communauté cultivant une telle doctrine.

Au XVIIIe siècle, où l’on était plus préoccupé de philosophie et de déisme que d’orthodoxie religieuse, apparut chez des auteurs tels que Voltaire la notion d’esprit de secte. On élargissait ainsi la notion de secte, en s’intéressant plus au mécanisme intérieur qu’aux doctrines en elles-mêmes. L’esprit de secte était dès lors identifié à l’obscurantisme, à la superstition, à la crédulité et au fanatisme, et ce pas seulement dans le domaine religieux, mais dans tous les domaines du savoir et de l’activité humaine. L’esprit de secte était alors considéré comme un frein au développement de la connaissance et au progrès social, et comme un facteur de conflit entre les hommes.

C’est au XIXe que se mit progressivement en place la signification commune de la secte. Ce siècle, qui suivit les bouleversements de la Révolution Française et des débuts de la Révolution industrielle, vit naître dans les populations de grandes inquiétudes et incertitudes, qui suscitèrent l’émergence de nombreux groupes religieux aux théories plus ou moins extrêmes ou farfelues. On pense particulièrement aux mouvements millénaristes protestants, tels les Adventistes du 7e Jour ou les Témoins de Jéhovah, qui se mirent à annoncer la date du retour du Christ. On trouve aussi, particulièrement en France, de nombreux groupes occultistes, spirites, rosicruciens, gnostiques qui se constituent en autant de chapelles professant parfois des doctrines délirantes. Ces sectes étaient bien sûr condamnées par les Églises officielles, mais suscitaient plus d’amusement et de curiosité que de peur dans la population.

Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour voir apparaître la notion de dangerosité des sectes, et surtout à partir des années 1970. De nombreux groupes religieux d’origine récente défrayèrent la chronique avec des faits choquants : manipulations mentales, séquestrations, mauvais traitements, abus sexuels, usage de stupéfiants, malversations financières, quasi esclavage, meurtres, suicides collectifs… Le terme secte reste depuis associé à une idée de danger, pour les personnes et pour la société, et de nombreuses associations anti-sectes ont vu le jour.


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Qu’entend-on généralement par secte ?

Le mot secte a accumulé plusieurs strates au cours de l’histoire, partant de l’hérésiologie chrétienne pour arriver à la lutte des états modernes contre une forme de crime organisé à connotation spirituelle ou religieuse. L’opinion publique s’en est emparé, sous sa forme la plus dramatique, et ce terme n’est plus guère utilisable pour appréhender les phénomènes spirituels marginaux d’une manière sereine et rationnelle. 

C’est pourquoi les sociologues ont généralement renoncé au terme secte pour décrire les mouvements religieux marginaux, lui préférant des expressions plus neutres, telles que Nouveaux Mouvements Religieux. Le terme n’est dès lors plus guère utilisé en sociologie que pour distinguer le type "Église" du type "Secte" au sein des différentes communautés chrétiennes, particulièrement protestantes. Dans cette typologie, que l’on doit au sociologue Max Weber (1864-1920) et au théologien et sociologue Ernst Troeltsch (1865-1923), le terme secte est utilisé sans la moindre nuance péjorative : il décrit un type de communauté, dans laquelle on est entré par choix ou conversion et dans laquelle tous les membres sont soumis aux mêmes exigences d’engagement, par opposition au type "Église", dans lesquelles on est souvent par tradition familiale ou par conformisme, et dans lesquelles seuls certains membres (les clercs) sont réellement astreints à la pratique la plus exigeante.

Mais dans le grand public, le terme secte a perdu la complexité qu’il doit à sa longue évolution, pour recouvrir une réalité appréhendée seulement sous le mode de la peur ou de la polémique. La secte rejoint ainsi la liste des fléaux qui menacent l’humanité, avec le totalitarisme, le terrorisme, la drogue…

 

Adeptes d’une secte - La franc-maçonnerie est-elle une secte ? - Blog maçonnique Nos Colonnes

Adeptes d’une secte

 

Dans cette conception généralement admise dans la population, la secte est définie par un certain nombre de caractéristiques, qui ne sont bien sûr pas toutes présentes dans tous les mouvements.

1° une croyance religieuse forte, parfois irrationnelle ou délirante, que le groupe considère comme la seule vérité; cette croyance peut s’accompagner de l’obligation de lire exclusivement les publications autorisées par la secte.

2° la doctrine est généralement présentée par un gourou, personne ou groupe de personnes se prétendant investies d’un pouvoir et d’un savoir hors du commun ; la parole du gourou ne peut être contestée.

3° le gourou manipule mentalement ses adeptes pour exercer son emprise et en faire ses esclaves ; l’obéissance parfaite des adeptes est requise.

4° la secte demande beaucoup d’argent à ses adeptes, et les fait parfois travailler gratuitement ; de leur côté, les dirigeants mènent grand train.

5° la secte peut couvrir des malversations, des trafics, y compris d’êtres humains.

6° la secte entretient une relation conflictuelle et paranoïaque avec le monde et oblige ses adeptes à couper toute relation avec leur famille et leur milieu d’origine ; les adeptes sont parfois obligés de changer de nom.

7° la secte pratique un prosélytisme très actif, cherchant toujours à attirer et piéger de nouveaux adeptes ; la quitter est par contre difficile et peut présenter des risques.

8° les enfants sont embrigadés et parfois séparés de leurs parents ; ils sont susceptibles d’être exploités ou abusés sexuellement.

9° la secte peut mettre la santé de ses adeptes en danger, par des pratiques médicales inappropriées, le refus de la médecine moderne, des prescriptions alimentaires déséquilibrées ou la pratique excessive du jeûne.

10° au nom de sa vérité, la secte peut tuer ou inciter ses adeptes à se suicider.

Voilà ce que beaucoup de nos contemporains pensent des sectes. Il ne s’agit en fait que d’une compilation des faits divers les plus choquants recensés dans le monde du religieux marginal. Mais il s’agit en fait d’une secte fantasmée, effrayante, dont seuls certains mouvements présentent certaines de ces caractéristiques.

 

Et la franc-maçonnerie dans tout ça ?

Quand la question se pose à propos de la franc-maçonnerie, c’est bien sûr en référence à cette secte fantasmée qui hante l’imaginaire du public et que nous venons de décrire en quelques traits. On entend souvent les francs-maçons distinguer la franc-maçonnerie d’une secte en disant simplement qu’il est facile d’entrer dans une secte, mais difficile d’en sortir, alors qu’il est difficile d’entrer en franc-maçonnerie, mais très aisé d’en sortir. C’est tout à fait exact, mais peut-être insuffisant comme argument.

Il y a en effet bien d’autres arguments qui montrent que la franc-maçonnerie n’est pas une secte. Tout d’abord, la secte est un mouvement religieux, avec une doctrine et un credo bien définis. Or la franc-maçonnerie n’est pas une religion, n’a aucun credo, et se veut au contraire adogmatique. Elle n’impose aucune croyance spécifique et laisse ses membres se faire leur propre opinion sur toutes choses. On ne trouvera pas non plus en franc-maçonnerie de manipulation mentale ou de lavage de cerveau, puisqu’au contraire les francs-maçons sont invités à questionner la réalité et à en observer tous les aspects avant de se forger une opinion.

Si la franc-maçonnerie est certes organisée de manière hiérarchique, on y chercherait en vain la trace d’un gourou. Personne n’est le chef incontesté, infaillible et perpétuel en franc-maçonnerie, puisque toutes les fonctions sont électives et temporaires. Le respect dû aux officiers et dignitaires y est de rigueur, comme c’est le cas dans toute société organisée, mais il n’y est aucunement question d’obéissance ou de soumission. Les officiers et dignitaires de la franc-maçonnerie ne sont pas les détenteurs de la vérité ou de la tradition, ils sont juste les garants d’un cadre dans lequel les francs-maçons pourront effectuer leur quête personnelle de la Lumière.

 

Les Constitutions d’Anderson, 1723 - La franc-maçonnerie est-elle une secte ? - Blog maçonnique - Nos Colonnes

Les Constitutions d’Anderson, 1723

 

Alors que la secte se voit souvent comme l’unique arche de salut dans un monde corrompu et mauvais, et tente de soustraire ses adeptes à son influence délétère, la franc-maçonnerie incite au contraire ses membres à s’améliorer moralement et spirituellement afin de remplir avec d’autant plus d’efficace leurs devoirs de citoyens, de parents, d’hommes et de femmes impliqués dans le monde. Le monde n’est pas mauvais pour les francs-maçons, il s’agit simplement du chantier sur lequel ils cherchent à s’améliorer eux-mêmes, afin d’être utiles à l’humanité.

La franc-maçonnerie ne fait pas de prosélytisme et vous ne verrez jamais un franc-maçon distribuer des tracts ou faire du porte à porte. Le recrutement se fait plutôt par bouche à oreille, pour permettre d’atteindre des personnes susceptibles d’être réellement intéressées par la démarche maçonnique. L’entrée en franc-maçonnerie n’est d’ailleurs pas aisée et requiert de la patience, et toute candidature n’aboutira pas forcément. Et comme la franc-maçonnerie n’entend pas couper ses membres de leurs familles, elle vérifie que les candidats aient mis leurs conjoints au courant de leur démarche et que ces derniers n’y voient pas d’objection.

La franc-maçonnerie ne met jamais la santé de ses membres et n’a aucune prescription alimentaire. Comptant de nombreux professionnels de la santé dans ses rangs, elle n’invitera jamais ses membres de s’abstenir d’un traitement médical reconnu. On cherchera également en vain des suicides collectifs ou des meurtres en franc-maçonnerie.

D’un point de vue financier, la franc-maçonnerie n’a aucune exigence exubérante et ne ruinera jamais ses membres. Certes, il y a une cotisation, comme dans beaucoup d’associations ou clubs, mais elle reste tout à fait raisonnable, et jamais la franc-maçonnerie ne demandera à ses membres de lui faire don de tous leurs biens.

S’il peut malheureusement arriver que des francs-maçons indélicats soient poursuivis dans des affaires, le plus souvent financières, c’est toujours à titre personnel, car jamais la franc-maçonnerie en tant qu’institution ne couvre des entreprises de malversations. Elle prône au contraire le respect des lois et invite ses membres à une conduite irréprochable.

 

Conclusion

La franc-maçonnerie n’est donc décidément pas une secte au sens commun de ce terme. Historiquement, née au XVIIIe siècle, on pourrait même la décrire comme l’anti-secte par excellence. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, les philosophes des Lumières ont particulièrement dénoncé l’esprit de secte comme source de grands maux pour la société. Or l’intention de la franc-maçonnerie moderne fut dès son origine d’unir des hommes que les préjugés religieux eussent dû séparer : "quoique dans les Temps anciens les Maçons fussent astreints dans chaque pays d’appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu’elle fût, il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette Religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Hommes d’Honneur et de Probité, quelles que soient les Dénominations ou Croyances qui puissent les distinguer ; ainsi, la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de nouer une véritable Amitié parmi des Personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement Éloignées", lit-on dans l’article 1 des Constitutions d’Anderson en 1723. Loin d’être une secte, la franc-maçonnerie s’est toujours pensée comme l’antidote à l’esprit de secte.

 

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24 mars, 2025