Le Rite de Schroeder
Assez peu connu dans le monde, le Rite de Schroeder a été développé en Allemagne à partir de 1795 et a été adopté par la Grande Loge de Hambourg en 1801 (certaines sources disent 1811). Il est l’oeuvre d’une commission de Maîtres présidée par Friedrich Ludwig Schroeder, qui en est l’auteur principal. Aujourd’hui, le Rite de Schroeder est largement répandu en Allemagne, en Suisse, en Autriche et en Hongrie. Dans les années 1870, des émigrés allemands introduisirent le Rite de Schroeder au Brésil, où plus d’une centaine de Loges l’utilisent aujourd’hui au sein de plusieurs obédiences, dont le Grand Orient du Brésil. Dans les années 1930, des Allemands fuyant le nazisme introduisirent également le Rite de Schroeder au Chili et quelques Loges le pratiquent aux aux États-Unis. Nous allons découvrir ici quelles sont les origines et les caractéristiques du Rite de Schroeder.
Qui était Schroeder ?
Friedrich Ludwig Schroeder (1744-1816) était un acteur, dramaturge, metteur en scène et directeur de théâtre, considéré de son vivant comme le meilleur acteur allemand, et honoré après sa mort comme le Rénovateur du théâtre germanique. Son oeuvre littéraire est considérable, mais il était également un historien autodidacte, spécialisé dans l’histoire et les rituels de la franc-maçonnerie allemande. Ses écrits restent aujourd’hui encore une source importante pour la connaissance de ce pan de l’histoire maçonnique.
Initié en 1774 au Rite de la Stricte Observance Templière (SOT) à Hambourg, Maître en 1775 et Vénérable en 1785, il fut nommé Grand Maître Adjoint de la Grande Loge de Hambourg de 1794 à 1814, date à laquelle il en devint le Grand Maître jusqu’à sa mort.
Il ne faut pas le confondre avec son homonyme Friedrich Joseph Wilhelm Schroeder (1733-1778), médecin, professeur de médecine à l’Université de Marbourg, alchimiste, membre de la Stricte Observance Templière et rosicrucien, qui fonda un chapitre maçonnico-rosicrucien à Marbourg en 1766 et fut peut-être l’un des maîtres en sciences occultes de Cagliostro.
Ne pas le confondre non plus avec Johann Georg Schroepfer (1730 ?-1774), limonadier à Leipzig, nécromancien, charlatan et escroc. Adversaire de la Stricte Observance Templière, Schroepfer (qui n’avait vraisemblablement jamais réellement été reçu Maçon) créa un système maçonnique occultiste, basé sur la communication avec les esprits. Il se suicida d’un coup de pistolet en 1774, mais la thèse du meurtre fut aussi évoquée.
La franc-maçonnerie allemande au XVIIIe siècle
Comme dans les autres pays européens, la franc-maçonnerie débuta par des Loges fondées par des Anglais de la Grande Loge de Londres. Ainsi se constituèrent plusieurs Grande Loges Provinciales anglaises. À l’instar de leurs Frères français, les francs-maçons allemands jouèrent un rôle important dans l’apparition et le développement des hauts grades, dès les années 1740.
Un système de hauts grades allait jouer un rôle capital en Allemagne et connaître un succès sans précédent dans l’histoire maçonnique : la Stricte Observance Templière (SOT). Elle était l’oeuvre d’un aristocrate fantasque, le Baron Karl Gotthelf von Hund und Altengrotkau, plus simplement appelé Baron de Hund dans la littérature maçonnique (1722-1776). Mystificateur, mythomane, mais probablement sincère dans ses délires, Hund prétendait avoir été reçu dans un Chapitre Templier à Paris en 1743, en présence d’un mystérieux "Chevalier au Plumet Rouge", dont il affirmaqu’il s’agissait de Charles Edouard Stuart, le Prétendant au trône d’Angleterre. Il aurait alors reçu la mission de réformer la Maçonnerie.
En 1751, il ouvrait sur ses terres une Loge et un Chapitre Templier, puis il s’associa avec le fondateur d’un autre chapitre templier, Christian Adam Marschall von Bieberstein (1732-1786), avec qui il forgea les documents susceptibles de légitimer son oeuvre. Au Convent d’Altenberg en 1764, il présenta ces documents, soit une mystérieuse Patente le nommant Grand Maître Provincial (illisible, puisque écrite dans un code que personne ne put jamais déchiffrer) et le fameux "Livre Rouge", décrivant l’organisation de l’Ordre et de ses Provinces. La Stricte Observance Templière rencontra un très vif succès et une majorité de Grandes Loges allemandes y adhérèrent. Rapidement, les autres pays de culture germanique suivirent (Suisse, Autriche, Hongrie, Suède et Strasbourg.
En dépit de cérémonies somptueuses et d’une discipline (allemande!) dans les travaux que tous s’accordaient à reconnaître, la Stricte Observance Templière était d’une affligeante pauvreté de contenu. Le seul but était de récupérer les biens des Templiers, confisqués lors de l’abolition de l’Ordre, ou éventuellement de trouver la Pierre Philosophale et de produire de l’or. Ces intérêts biens matériels frustraient certains membres de l’Ordre, en recherche de spiritualité, de mystique et de philosophie.
Par ailleurs, la Stricte Observance Templière était une entreprise très coûteuse. Elle avait créé un système appelé "Plan Economique", qui était une sorte de tontine sensée assurer aux dignitaires de l’Ordre de confortables pensions, mais à laquelle toutes les Loges contribuaient. Des doutes surgirent donc quant aux motivations réelles de Hund. Un Convent fut convoqué à Kohlo en 1772 pour tenter d’y voir plus clair. Hund s’y vit sommé de traduire la Patente et de dire si la filiation templière est authentique ou non. Acculé, le pauvre baron s’effondra et reconnut la mystification. Il renonça à sa charge de Supérieur de l’Ordre au profit du Duc de Brunswick (Ferdinand von Braunschweig-Wolfenbüttel, 1721-1792), pour ne conserver que la fonction de Grand Visiteur de l’Ordre. Mais la Stricte Observance Templière était ébranlée : les défections ne tardèrent pas. De nombreuses Loges quittèrent l’Ordre et rejoignirent les deux Rites maçonniques templiers rivaux, le Rite Suédois (qui existe encore aujourd’hui) et le Rite de Zinnendorf.
Cette même année 1772, ignorant tout de la tourmente, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), perpétuellement en recherche du "vrai" secret maçonnique, demanda l’adhésion de sa Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon à la Stricte Observance Templière. Ayant reçu la garantie que le but de l’Ordre n’était pas de venger Jacques de Molay sur les personnes des successeurs de Philippe le Bel et de Clément V, Willermoz s’y rallia en 1774.
Mais il fut très rapidement déçu du peu de contenu des rituels de la Stricte Observance Templière et il réécrivit complètement les rituels, en y insérant le Martinésisme qui lui est cher. La "Réforme de Lyon" – qui est en fait le "Système des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte" ou "Régime Écossais Rectifié" – fut adoptée par le Convent des Gaules de 1778 et désormais pratiquée par les Loges françaises de la Stricte Observance Templière.
En 1782, le Duc de Brunswick convoqua un grand Convent à Wilhemsbad, auquel furent convoquées toutes les Provinces de l’Ordre ainsi que quelques puissances maçonniques amies, dans le but de définir les vrais buts de la franc-maçonnerie. Ce Convent récusa l’origine templière et adopta la "Réforme de Lyon", à l’exception des deux grades les plus mystiques que Willermoz y avait intégrés (la Profession et la Grande Profession). Mais cet effort de redressement arrivait trop tard. Les Loges allemandes quittaient l’Ordre les unes après les autres, et en 1783, la Stricte Observance Templière s’effondra ; le Régime Écossais Rectifié qui lui avait succédé ne subsista alors qu’en France et en Suisse.
Les Grandes Loges allemandes reprirent donc leur autonomie et renouèrent les liens avec Londres, tout en adoptant généralement le Rite Suédois ou le Rite de Zinnendorf. Certaines Loges rallièrent un ordre para-maçonnique à coloration rosicrucienne et alchimique, la "Rose-Croix d’Or d’Ancien Système", fondé à Berlin en 1777, et qui devait à son tour se mettre en sommeil en 1786.
La Grande Loge de Hambourg et l’apparition du Rite de Schroeder
Créée en 1740 en tant que Grande Loge Provinciale Anglaise, la Grande Loge de Hambourg avait adhéré à la Stricte Observance Templière en 1765, sans toutefois rompre toute relation avec Londres. En 1783, elle rentra donc tout naturellement dans l’orbite londonienne, tout en adoptant dans un premier temps le Rite templier de Zinnendorf.
Mais les systèmes templiers, et plus généralement les hauts grades, avaient laissé un goût amer à beaucoup de francs-maçons allemands : décorum pompeux, mainmise de la haute aristocratie, hiérarchie autoritaire, coûts exorbitants, malversations, mystifications et mépris à peine voilé pour les Loges bleues et la symbolique proprement maçonnique, tout cela avait fini par lasser plus d’un Frère.
Nommé Grand Maître Adjoint de la Grande Loge de Hambourg en 1794, Schroeder entreprit l’année suivante un grand travail de retour aux sources, avec une commission de Maîtres. Il réunit une quarantaine de rituels pour servir de base de travail. Parmi ces documents figurait "The Three Distinct Knocks" (Les Trois Coups Distincts), divulgation d’un rituel des "Anciens" parue à Londres en 1760 et qu’il avait traduite en allemand. Ce document, qu’il intitula "Aeltestes Ritual" (Le plus ancien rituel), fut la base principale de son travail, qui visait à renouer avec la plus pure tradition maçonnique, débarrassée des scories des hauts grades. En 1801 (ou 1811 ?), le nouveau Rite fut adopté par la Grande Loge de Hambourg.
Les caractéristiques et l’esprit du Rite de Schroeder
Le Rite de Schroeder est un cousin germain (!) du Rite Emulation et des grades symboliques du REAA tels qu’ils se sont développés en France dès 1804 et se sont fixés dans le "Guide des Maçons Écossais" (vers 1809-1816) : tous trois dérivent directement de "Three Distinct Knocks", avec des choix différents.
C’est un Rite sobre, en trois grades seulement, très proche des anciens rituels anglais, ramené aux fondamentaux maçonniques et uniquement centré sur la symbolique des Bâtisseurs, sans ajouts alchimiques, mystiques, chevaleresques ou autres. Schroeder considérait que la franc-maçonnerie était complète au grade de Maître, mais il créa une "Engbund" (littéralement Alliance étroite), qui permettait aux Maîtres qui le souhaitaient d’étudier les hauts grades, sans toutefois les pratiquer.
L’esprit du Rite de Schroeder peut se résumer en ces mots : fidélité aux fondamentaux maçonniques, bienveillance, douceur, fraternité, égalité, moralité, amour de l’Humanité, humilité, mise en garde contre l’orgueil maçonnique, spiritualité laïque. Il est très éloigné de la grandiloquence, du mysticisme, du goût du spectaculaire et du macabre qui avaient dominé une grande partie des francs-maçonneries française et allemande du XVIIIe et qui subsistent aujourd’hui dans de nombreux Rites.
On peut considérer le Rite de Schroeder comme la tentative européenne la plus aboutie de revenir aux fondamentaux de l’ancienne franc-maçonnerie anglaise, après un XVIIIe siècle où les francs-maçons français et allemands n’avaient cessé de surcharger les rituels de toutes sortes d’emprunts à des traditions extérieures à la symbolique des Bâtisseurs (alchimie, chevalerie, théosophie, et parfois même magie pratique, théurgie, nécromancie, divination...).
Schroeder entendait ainsi rendre toute sa saveur aux trois grades maçonniques, en les maintenant dans le symbolisme du Temple et du Métier de Maçon. Il refusait de réduire les trois grades traditionnels à n’être qu’un vague préalable à des spéculations plus élevées, telles qu’elles peuvent s’exprimer dans les systèmes de hauts grades. Schroeder ne rejetait pas complètement les hauts grades, comme l’atteste la "Engbund" qu’il avait créée pour permettre aux Maîtres d’étudier ces degrés. Mais il refusa catégoriquement toute mainmise de ces grades sur la Loge traditionnelle : dénonçant l’orgueil sous-jacent des systèmes qui font miroiter des degrés aux titres les plus flatteurs, il encouragea les Maçons à s’en tenir humblement à la tradition du Métier, qui est largement assez riche pour se suffire à elle- même.
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