La Planche en franc-maçonnerie
Combien d’Apprentis et de Compagnons francs-maçons ont tremblé à l’idée de devoir "plancher", c’est-à-dire présenter une Planche devant la Loge. Réflexe de potache devant le prof, peur de ne pas être à la hauteur, peur d’être jugé… La Planche, pour les francs-maçons d’expression française, désigne avant tout un travail qu’un Frère ou une Sœur franc-maçon a préparé sur un sujet souvent imposé et qu’il devra lire devant la Loge assemblée. On appelle aussi ce travail un "Morceau d’Architecture". La lecture de cette Planche ouvre généralement à un travail commun de toute la Loge, et chaque Compagnon et Maître franc-maçon peut à son tour "ajouter sa pierre à l’édifice", selon l’expression consacrée. D’où vient donc ce nom de Planche ? Et qu’est-ce qu’une Planche pour un franc-maçon ?
La notion de Planche en franc-maçonnerie
En franc-maçonnerie d’expression française, la Planche ne désigne pas seulement l’exposé qu’un franc-maçon doit faire devant la Loge. Ce terme est plus généralement utilisé pour désigner tout document écrit, en particulier à caractère officiel. Ainsi la convocation à une assemblée sera une Planche de convocation, un rapport d’enquête sur un candidat une Planche d’enquête, le procès-verbal d’une Tenue sera souvent qualifié de Planche tracée.
L’usage de ces expressions remontent évidemment à un outil opératif souvent cité dans les rituels maçonniques et représenté sur les tapis de Loge : la Planche à tracer. Cet instrument est attribué au grade Maître, car le Maître est appelé à tracer les plans de l’édifice. Mais pourquoi parle-t-de Planche pour désigner la surface sur laquelle on trace les plans ? Parce qu’à l’origine, les plans étaient tracés à même le sol, dans un appentis ou un hangar dont le sol était un plancher. La planche à tracer était donc primitivement un plancher à tracer. On en trouve une réminiscence dans les anciens rituels maçonniques qui requéraient que le tableau de loge (qui deviendra plus tard un tapis) soit tracé à la craie au centre de la Loge, et effacé à la fin des travaux. La franc-maçonnerie anglo-saxonne qualifie d’ailleurs toujours ce tableau de Loge de "Tracing Board", soit Planche à Tracer.
La Planche comme exposé
Dans sa vie maçonnique concrète, le franc-maçon est surtout confronté à deux sortes de Planches. Les Planches de l’Orateur, et les Planches que lui et ses camarades sont appelés produire. Dans les deux cas, il s’agit de discours ou d’exposés.
Les Planches de l’Orateur peuvent être dites "de circonstance". Elles désignent alors des discours prononcés à une occasion particulière : après la réception d’un nouvel Apprenti, Compagnon ou Maître, à l’occasion des fêtes solsticiales, de l’installation d’un nouveau Vénérable, d’une Tenue funèbre, de la visite d’un Dignitaire… Le plus souvent, ces Planches sont rédigées par l’Orateur lui-même, mais certains rituels imposent la lecture d’une Planche imposée, en particulier après la cérémonie de réception aux trois grades. Dans certaines Loges, l’Orateur est invité à présenter une Planche à chaque Tenue, et cette Planche est évidemment libre.
L’usage généralisé des Planches d’Orateur pendant les travaux remonte au XIXe siècle. Au XVIIIe siècle, l’Orateur prononçait un discours en Loge à l’occasion de la réception d’un nouvel Apprenti, et c’est à peu près tout. Les autres discours étaient réservés au Banquet qui suivait traditionnellement les travaux en Loge, et au cours duquel différents Officiers prenaient la parole, et pas seulement l’Orateur.
Pour les Planches des Frères et Sœurs, les usages peuvent varier selon les Loges et les Obédiences. Dans certaines Loges, on planche beaucoup, dans d’autre, juste le minimum! Ce sont avant tout les Apprentis et les Compagnons qui planchent, permettant ainsi à la Loge de mesurer leurs progrès. Deux Planches par année maçonnique semblerait donc un bon rythme si l’on veut progresser. Et dans beaucoup de Loges, on attend une Planche spécifique avant de passer au deuxième puis au troisième grade.
Les Maîtres ne sont généralement plus tenus de présenter des Planches, et c’est fort dommage. Nous connaissons heureusement des Loges où les Maîtres continuent à plancher, et pas seulement au troisième grade. Le travail de progression de chaque franc-maçon ne devrait pas s’arrêter à l’obtention du grade de Maître, bien au contraire, et la planche est un exercice exigeant qui permet d’alimenter le travail personnel.
Là encore, l’usage de la Planche ne remonte pas au-delà du XIXe siècle, et concerne essentiellement la franc-maçonnerie d’expression française. Dans cette franc-maçonnerie, le travail maçonnique consiste essentiellement en la lecture d’une Planche et la discussion qui s’ensuit, alors que dans la tradition maçonnique anglo-saxonne, le travail consiste essentiellement dans la pratique du rituel. Les éventuelles conférences s’y tiennent pendant le Banquet, conformément aux anciens usages.
L’inquiétude face à la Planche
Nombreux sont les francs-maçons qui nourrissent une réelle inquiétude à l’idée de devoir rédiger, puis lire en public une Planche. De nombreux ouvrages et sites internet donnent des conseils souvent fort judicieux aux "Plancheurs" débutants, comme aux vieux routards. Nous n’allons pas nous suppléer à ces modes d’emplois, mais évoquer plutôt l’état d’esprit dans lequel on prépare une Planche.
La Planche doit être avant tout personnelle. Le but n’est pas un travail d’érudition, il ne s’agit pas d’aborder un sujet de manière exhaustive, ni de briller. Certes, la recherche qui sous-tend la Planche doit être sérieuse et rigoureuse, mais il ne s’agit en aucun cas d’étaler un savoir théorique abstrait. À quoi cela servirait-il ? Vous êtes Apprenti depuis trois mois et vous prétendez par exemple pouvoir expliquer le Maillet et le Ciseau à un Frère ou une Sœur qui a vingt ans de maçonnerie ? À part enfler votre égo, vous n’y gagnerez rien !
L’important, pour vous comme pour la Loge, c’est d’intégrer les symboles, d’en faire quelque chose dans votre vie. Ce n’est pas la connaissance pure et abstraite des symboles qui vous fera progresser. C’est bien plus votre capacité à en appliquer le pouvoir transformateur à votre propre existence et à vos propres mécanismes intérieurs. Et c’est cela qui permettra à vos Frères et Sœurs de constater votre évolution et de s’en réjouir.
N’hésitez donc pas à vous livrer, à vous dévoiler, soyez parfois audacieux dans vos interprétations, suivez ce que vous dicte votre cœur, et pas seulement votre raison. Mais surtout évitez les copier-coller de Planches existantes (il y en a plein sur la toile) : c’est non seulement intellectuellement malhonnête, mais c’est surtout un indice de paresse et de désintérêt pour le vrai travail sur soi que nous propose la franc-maçonnerie. Vous êtes la Pierre Brute que vous devez apprendre à tailler pour pouvoir édifier le Temple de l’Humanité avec vos Frères et Sœurs, alors de grâce, ne bâtissez pas avec des matériaux préfabriqués !
Et le verbe "plancher" ?
Le verbe "plancher", dans le sens de s’astreindre à un travail intellectuel, est bien connu dans le monde profane, où il est très largement utilisé. Ce verbe, apparu au XXe siècle, serait-il d’origine maçonnique ? Ce serait tentant de le penser. Malheureusement, l’origine directe de ce verbe n’est pas maçonnique, mais scolaire. Il dérive de "planche" en argot scolaire du XIXe siècle, qui désigne le tableau noir. "Plancher" signifie d’abord "passer un examen, être interrogé (par le professeur)", et par extension "se livrer à un travail de nature intellectuelle et studieuse".
Cependant, il n’est pas exclu qu’on puisse déceler ici une origine maçonnique indirecte. En effet, les francs-maçons français se sont beaucoup engagés dans la lutte pour un enseignement obligatoire, laïque et gratuit, assumé par l’État, et destiné aux filles comme aux garçons. En 1866, le Frère Jean Macé fonda la "Ligue de l’Enseignement", sur le modèle de la "Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente" fondée en Belgique, en 1864, par des francs-maçons et des libres-penseurs. Dès lors, de nombreux enseignants républicains, souvent francs-maçons, se mirent à considérer cet idéal laïque et égalitaire comme une véritable mission, au point que les instituteurs de l’Education Nationale reçurent en 1913 le sobriquet de "Hussards noirs de la République". L’usage argotique du mot "planche" pour désigner le tableau noir ne viendrait-il pas des instituteurs francs-maçons plutôt que des élèves ? Laissons la réponse aux historiens de la langue française…
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