Le Pavé Mosaïque en franc-maçonnerie
Le centre de la Loge maçonnique, et parfois tout le sol, est recouvert d’un dallage en forme de damier que l’on nomme le Pavé Mosaïque. Il est formé de cases noires et blanches alternées et c’est autour de lui que sont généralement disposés les trois piliers ou colonnettes supportant les Lumières. Dans la plupart des Rites maçonniques continentaux, le Pavé Mosaïque est considéré comme le lieu le plus sacré du temple, sur lequel on vient dérouler le Tapis de Loge ; on ne peut marcher sur le Pavé Mosaïque, tout au plus l’enjamber pendant le cérémonie de réception au troisième grade. Dans les Rites anglo-saxons, mais aussi au Rite de Memphis-Misraïm, c’est l’Autel des serments qui est placé au centre du Pavé Mosaïque et le Vénérable et le récipiendaire y marchent forcément. D’où vient ce symbole maçonnique ? Que signifie ce nom "Pavé Mosaïque" ? Quelle est sa signification et combien de cases doit-il compter ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir.
L’origine du Pavé Mosaïque et de son nom
Dénommé "Square Pavement" ou "Mosaic Pavement" en anglais, le Pavé Mosaïque apparaît dans les anciens catéchismes maçonniques écossais et anglais. La plus ancienne mention se trouve dans les manuscrits "Edinburgh Register House" (1696) et "Chetwode Crawley" (1700), qui décrivent les usages de la Maçonnerie du Mot de Maçon en usage en Écosse au XVIIe siècle. On la retrouve ensuite dans plusieurs manuscrits ou divulgations anglais, écossais et irlandais ("Dumfries n°4", vers 1710; le "Trinity College, Dublin", 1711; "A Mason’s Confession", vers 1727; "Wilkinson", 1727; "Masonry Dissected", 1730…).
Ces documents ne décrivent pas ce qu’est le Pavé Mosaïque ni son utilité, à l’exception de deux d’entre eux, qui nous donnent la clé de ce symbole : "A Mason’s Confession" et le manuscrit "Wilkinson". Selon ces deux documents (le premier écossais, le second anglais), le Pavé Mosaïque sert au Maître pour tracer ses plans. Nous avons déjà rappelé dans notre précédent article sur le Tapis de Loge qu’à l’origine, on traçait les plans à même le sol, sur le plancher du local où travaillaient les Maçons. Les affirmations de "A Mason’s Confession" et du manuscrit "Wilkinson" ne font donc que préciser cet usage : si le Pavé Mosaïque est quadrillé, c’est que le tracé pouvait être ainsi aisément transposé à une plus grande échelle, à l’aide d’un quadrillage plus grand. Le Pavé Mosaïque était donc bel et bien à l’origine un outil opératif et non un motif symbolique ou décoratif.
Mais pourquoi ce nom de Pavé Mosaïque ? Il faut tout d’abord remarquer que l’appellation est relativement tardive, puisque les anciens documents ne parle que de "Square Pavement", qu’on peut rendre par Pavé Carré ou Pavé d’équerre. Le nom "Mosaick [sic] Pavement" n’apparaît qu’en 1727 dans le "Wilkinson", qui sera suivi par le "Masonry Dissected" de 1730. Ces deux documents étant clairement issus de la tradition de la Grande Loge de 1717 (ou plus probablement 1721), on peut en déduire que ce terme provient de la tradition des "Modernes".
Mais que signifie-t-il ? "Mosaïque" est-il pris ici dans le sens de ce qui est relatif à la Loi de Moïse ? Il semble bien plus venir du latin médiéval "mosaicus", transformation du latin classique "musivus", lui-même dérivé du grec "mouseios", relatif aux Muses, c’est-à-dire les "divinités" qui régissent les différents Arts. Il n’est pas étonnant que ce terme ait été adopté par la franc-maçonnerie moderne, née en un temps où les élites intellectuelles étaient nourries d’Antiquité gréco-romaine.
La signification du Pavé Mosaïque
Dans la franc-maçonnerie moderne, le Pavé Mosaïque a perdu son sens d’outil opératif, pour ne garder qu’une signification symbolique. À une date que nous ne sommes pas parvenu à déterminer précisément, il a pris la forme d’un damier, où alternent cases noires et cases blanches. Il devient ainsi une image du monde créé, marqué par la dualité. Le symbole du Pavé Mosaïque rejoint donc les autres symboles de dualité dans la Loge (les deux Colonnes, le Soleil et la Lune, le Midi et le Septentrion), à la différence qu’il contient en lui-même les deux pôles, inextricablement liés. Toute la complexité du réel s’exprime en lui : la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, le bien et le mal, la progression et la régression…
Cette interpénétration du noir et du blanc n’est sans rappeler le symbole chinois du Yin et du Yang, qui entend lui aussi rendre compte de la réalité du monde en termes de dualité. Mais le modèle chinois est tout en rondeur, dépeignant l’alternance du noir et du blanc comme un mouvement incessant, semblable à celui de l’eau ou du vent, dans lequel il faut constamment chercher l’équilibre, par le mouvement.
Le Pavé Mosaïque est plus radical dans sa représentation de la dualité. Les cases sont bien délimitées et semblent plus réfractaires au mouvement. C’est l’observateur qui va devoir faire un choix, pour tracer sa propre voie et parvenir à sublimer la dualité par le principe Ternaire.
Si le Pavé Mosaïque représente bien le monde, dans sa dualité permanente, on peut se demander pourquoi il est quasiment interdit de marcher dessus dans la franc-maçonnerie continentale ? N’y a-t-il pas ici une forme d’incohérence ? Nous vivons dans ce monde où nous sommes soumis à la dualité : pourquoi, dans la Loge, devrions-nous considérer la représentation du monde comme sacrée en soi ? L’ouvrage du franc-maçon est de sacraliser le monde de la dualité en découvrant le troisième terme, et pour le faire, il doit pénétrer dans ce monde, y compris rituellement.
Combien de cases doit compter le Pavé Mosaïque ?
Le nombre de cases du Pavé Mosaïque sera bien évidemment porteur d’une signification symbolique, et différentes options peuvent être envisagées. Beaucoup de Loges partagent les mêmes temples, qui sont souvent aménagés de manière inamovible. Difficile donc dans certains cas de choisir le Pavé Mosaïque que l’on souhaite utiliser. Mais si le Pavé Mosaïque est représenté sur le Tapis de Loge, ce qui est souvent le cas, les Loges sont alors libres d’opter pour la forme qui a le plus de sens pour elles.
Quelles sont les différences options ? Nous en connaissons trois, qui ont toutes une signification pertinente. Elles ne s’excluent pas et peuvent même être utilisées toutes les trois par la même Loge, comme vous le constaterez.
La première option est le plus simple sur le plan symbolique : 8 x 8 = 64 cases. 64 est le cube de 4, qui est le nombre du monde créé, caractérisé par les Quatre Éléments, les Quatre Points Cardinaux, les Quatre Saisons etc. Cube de 4, le 64 représente alors le monde en trois dimensions, le monde matériel que nous connaissons et dans lequel nous évoluons. Le Pavé Mosaïque à 64 cases est donc uniquement descriptif : il symbolise le monde tel que nous le percevons, sans l’interpréter. Il serait judicieux de le faire figurer sur le Tapis de Loge du premier grade : l’Apprenti prend conscience de lui-même et du monde dans sa dualité, mais n’a pas encore les connaissances géométriques qui lui permettraient de comprendre le monde et d’y agir.
Les deux options suivantes supposent quant à elles une connaissance géométrique.
Le Pavé Mosaïque construit selon le Nombre d’Or : 5 x 8 = 40 cases. Le Nombre d’Or étant une proportion, d’autres modèles peuvent être proposés, qui gardent la même proportion et se trouvent dans la suite de Fibonacci (0-1-1-2-3-5-8-13-21-34-33-55-89…) : on peut donc envisager un Pavé de 3 x 5, 8 x 13, 13 x 21 etc. L’intérêt du Pavé 5 x 8 est qu’il donne 40 cases. 40 est un nombre important dans la tradition judéo-chrétienne, c’est le nombre de l’attente, mais aussi du temps nécessaire à l’expérience spirituelle (les 40 ans passés par le peuple d’Israël dans le désert, les 40 jours de la tentation de Jésus). Basé sur le Nombre d’Or, que le Compagnon découvre dans l’Étoile Flamboyante, le Pavé Mosaïque 5 x 8 pourrait avantageusement figurer sur le Tapis de Loge du deuxième grade.
Enfin le Pavé Mosaïque fondé sur le Théorème de Pythagore : 9 x 12 = 108 cases. Là encore, on peut envisager d’autres modèles qui gardent le rapport 3-4-5 du triangle rectangle pythagoricien : 3 x 4, 6 x 8, 12 x 16. Mais le plus intéressant reste à notre avis le 9 x 12 = 108, car ces trois nombres sont riches de signification. Le 9, carré de 3, apparaît souvent en franc-maçonnerie à partir du grade de Maître. C’est notamment le nombre de la batterie du grade et le nombre des Maîtres partis à la recherche de la dépouille d’Hiram. Le 12 est un nombre majeur de la tradition judéo-chrétienne, symbolisant la plénitude et l’accomplissement (les 12 Tribus d’Israël, les 12 Apôtres). Enfin la symbolique du nombre 108 nous vient plutôt d’Inde. Il symbolise l’accomplissement, la libération, la fin du chemin initiatique. Les principaux dieux hindous, de même que le Bouddha, ont 108 noms, il y a 108 Upanishads, 108 Asanas (postures) de yoga, 108 perles au chapelet bouddhiste, 108 passions dans le bouddhisme... Du point de vue bouddhiste, le 108 symbolise l’atteinte du samādhi (le recueillement, c’est-à-dire le plus haut niveau de conscience de la méditation), après avoir tranché les 108 passions. C’est sur le Tapis de Loge du troisième grade que pourrait figurer le Pavé Mosaïque 9 x12 = 108, car le Maître passe par la mort symbolique pour dépasser les passions représentées par les trois mauvais Compagnons.
La franc-maçonnerie offrant une voie de compréhension du monde et de l’homme basée sur les Nombres et la Géométrie, essayons d’éviter d’utiliser des Pavés Mosaïques au nombre de cases aléatoire, dénués de toute signification, comme on peut malheureusement le voir dans certaines Loges. Les trois options que nous proposons offrent chacune une interprétation qui nous ouvre à d’autres horizons de compréhension. Il existe sûrement d’autres options tout aussi intéressantes, que nous découvrirons avec plaisir. Mais dans tous les cas, la recherche du sens doit rester centrale dans la démarche maçonnique, y compris dans l’aménagement de la Loge, car en franc-maçonnerie, tout est symbole.
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