L’Ordre de St Jean de Jérusalem et la franc-maçonnerie
La présence de la symbolique templière est évidente en franc-maçonnerie, en particulier au sein de la Stricte Observance Templière, du Rite Écossais Rectifié, du Rite Suédois, mais aussi bien sûr dans les hauts grades du Rite Écossais Ancien Accepté. Peut-on en dire autant de l’Ordre de St Jean de Jérusalem, le grand rival historique des Templiers ? La franc-maçonnerie fait-elle allusion à l’Ordre de St Jean de Jérusalem dans ses légendes et des rituels ? Très peu, voire pas du tout dans le cas de la franc-maçonnerie continentale européenne, notamment francophone. Par contre l’Ordre de St Jean de Jérusalem apparaît bien dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne. Partons donc à la découverte de l’Ordre de St Jean de Jérusalem au sein de la franc-maçonnerie.
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Origines de l’Ordre de St de Jérusalem et activités pendant les Croisades
L’Ordre de St Jean de Jérusalem, connu aussi sous le nom d’Ordre de l’Hôpital et plus tard d’Ordre de Malte, est un ordre fondé à l’occasion des Croisades. Le point de départ fut un hôpital destiné aux pèlerins, fondé à Jérusalem vers 1070 par des marchands de la ville italienne d’Amalfi. Jérusalem ayant été prise par les Croisés en 1099, cet hôpital devint en 1113 le siège d’un ordre strictement hospitalier, qui ne devint un ordre militaire comparable à celui des Templiers qu’en 1182.
Le nouvel ordre fut d’abord placé sous le patronage de St Jean de Jérusalem, plus connu sous le nom de St Jean l’Aumônier : ce patriarche d’Alexandrie (mort entre 616 et 621) s’était illustré pour sa grande générosité envers les chrétiens de Jérusalem après la prise de la ville par les Perses en 614. Quand la dimension militaire prit le dessus sur les activités hospitalières de l’ordre, ce patronage fut chargé en faveur de St Jean Baptiste, dont la figure de prophète héroïque et radical séduisait probablement plus les chevaliers.
À l’instar des Templiers, des Teutoniques et des autres ordres militaires plus petits, les Hospitaliers fournissaient une grande partie des contingents militaires présents en permanence dans le Royaume latin de Jérusalem, y bâtissant des forteresses impressionnantes. Ils furent également très actifs dans la diplomatie complexe qui avait cours dans ce petit royaume entouré d’ennemis et furent souvent en désaccord avec les Templiers, dont ils étaient devenus les principaux rivaux. L’unanimité entre les différents ordres militaires ne fut trouvée que lors de l’ultime défense de St Jean d’Acre, dernier bastion chrétien qui tomba en 1291, mettant un terme définitif au Royaume latin de Jérusalem.
L’Ordre après les Croisades
Tandis que les Templiers se replièrent sur la France, les Hospitaliers s’installèrent d’abord à Chypre, puis sur l’île de Rhodes en 1310 et enfin sur celle de Malte en 1530. Leurs activités militaires devinrent donc essentiellement maritimes et leur puissante flotte s’illustra dans maintes batailles navales, dont la célèbre bataille de Lépante en 1571, où elle contribua à la défaite des Ottomans, mettant un terme à leur expansionnisme.
Alors que les Templiers, créanciers du roi de France, en étaient devenus les otages puis les victimes, les Hospitaliers installés à Rhodes se tinrent à distance et ne furent nullement inquiétés. Au contraire, ils furent les grands bénéficiaires de l’abolition de l’Ordre du Temple, puisqu’ils se virent remettre tous les biens des Templiers, ne devant au roi de France que 200’000 livres tournois (environ 3.8 millions d’euros) payables en trois ans, à titre de dédommagement pour ses frais de justice.
Premier éclatement de l’Ordre
Renforcé par les biens des Templiers, les Hospitaliers devinrent à leur tour l’ordre le plus puissant de la chrétienté, disposant à Rhodes puis à Malte d’un véritable état territorial. Mais la Réforme protestante du XVIe siècle allait porter un premier coup sévère à l’Ordre.
En Angleterre, à la faveur de la Réforme anglicane, l’Ordre de St Jean fut dissout, comme tous ordres religieux, dont les biens furent confisqués par la couronne. À la même période, le Grand Bailliage de Brandebourg, en Allemagne, adhéra à la Réforme protestante et se sépara de l’Ordre, se plaçant sous la protection de la famille Hohenzollern. Il en alla de même des commanderies situées en Suède et aux Pays-Bas. Et en 1988, la couronne britannique recréa la branche anglaise comme un ordre de la couronne, protestant. Cet ordre est implanté au Royaume-Uni, au Canada, en Australie, en Irlande et à Hong Kong.
En 1961, les quatre branches protestantes s’unirent pour former l’Alliance des Ordre de St Jean. Ces ordres sont fidèles à la dimension hospitalière qui prévalait aux origines des Hospitaliers, entretenant notamment des ambulances et en soutenant des hôpitaux. L’auteur de ces lignes n’a pas pour habitude d’introduire des anecdotes personnelles dans ses articles, mais il ne peut s’empêcher de rapporter qu’il a fréquenté le Grand Bailliage de Brandebourg à la fin des années 1980, sans en être membre, et qu’il a eu la chance de rencontrer son Grand Maître d’alors (Herrenmeister en allemand), le Prince Wilhelm Karl de Prusse (1922-2007), petit-fils du Kaiser Guillaume II.
L’Ordre resté fidèle à Rome continuait à prospérer et envisagea brièvement de devenir une puissance coloniale en acquérant en 1651 des îles dans les Antilles (Ste Croix, St Barthélémy, St Christophe et St Martin). Mais le roi de France restait le souverain de ces îles et l’Ordre rencontrait de plus en plus de difficultés économiques, aussi les revendit-il en 1655 à la Compagnie Française des Indes Occidentales. Des tensions étaient également apparues entre le royaume de France, qui entendait étendre son hégémonie sur la Méditerranée, et l’Ordre de St Jean qui y exerçait une réelle prépondérance ne voyait pas cette ingérence d’un bon œil. Quand il réforma la marine royale française en 1624, Richelieu s’était d’ailleurs inspiré de la flotte de l’Ordre. Mais s’en prendre ouvertement à un Ordre religieux aurait immanquablement provoqué l’ire du pape, et le royaume de France continua à être le protecteur officiel des Chevaliers de St Jean, que l’on appelait désormais Chevaliers de Malte.
Perte de Malte et second éclatement de l’Ordre
La France révolutionnaire n’eut pas les mêmes scrupules et c’est elle qui porta un second coup à l’Ordre. En 1792, la Convention nationalisa tous les biens du clergé et des ordres religieux, et le Grand Prieuré de France de l’Ordre de St Jean fut dissout. Et bien plus, le Grand Maître Emmanuel de Rohan-Polduc (1725-1797) ayant refusé de reconnaître la République, la Convention tenta sans succès de s’emparer de Malte et d’y provoquer des insurrections.
En 1798, Bonaparte, qui s’embarquait pour la campagne d’Égypte, convainquit le Directoire qu’il était nécessaire de s’emparer de Malte et de l’annexer à la République. Il reçut l’autorisation et s’empara de l’île en quelques jours, expulsant les Chevaliers et installant une garnison de 3000 hommes avant de reprendre la mer pour l’Égypte. 249 chevaliers s’exilèrent en Russie pour se placer sous la protection du Tsar Paul Ier et l’année suivante, le nouveau Grand Maître, Ferdinand de Hompesch, abdiqua en faveur du Tsar, qui devint ainsi le nouveau Grand Maître et rendit héréditaire le titre de Chevalier de Malte.
D’autres chevaliers se réfugièrent en Sicile et certains s’engagèrent même dans l’armée de Bonaparte. L’Ordre de Malte avait perdu son état souverain, il avait éclaté entre une branche sicilienne, sans Grand Maître ni légitimité, et une branche russe soumise à un Grand Maître orthodoxe, donc illégitime du point de vue de l’Église de Rome. Après avoir perdu ses branches nordiques, devenues protestantes au XVIe siècle, l’Ordre éclatait à nouveau à l’aube du XIXe siècle.
Renouveau de l’Ordre
À la mort du Tsar Paul Ier en 1801, son fils et successeur Alexandre Ier, conscient de l’incongruité de la présence d’un Grand Maître orthodoxe à la tête d’un ordre catholique romain, refusa cette charge et tenta de faire élire un nouveau Grand Maître par l’Ordre lui-même. Mais l’éclatement géographique rendit cette élection impossible et c’est finalement le pape Pie VII qui, en 1803, désigna comme nouveau Grand Maître le candidat présenté par le branche russe, le bailli Giovanni Battista Tommasi (1731-1805). Le siège de l’Ordre fut provisoirement établi à Catane, en Sicile.
Tommasi mourut en 1805 après seulement deux ans de Grande Maîtrise et aucun Grand Maître ne fut élu à sa place. Sept lieutenants se succédèrent jusqu’en 1879, date à laquelle la reconstruction de l’Ordre, approuvée par le pape Léon XIII, fut entreprise et un nouveau Grand Maître fut élu en la personne de Giovanni Battista Ceschi a Santa Croce (1827-1905).
L’Ordre fut réorganisé, ses tâches ne furent plus que caritatives et hospitalières, et la majorité des Chevaliers fut désormais formée de laïcs, tous nobles à l’exception des Chevaliers de Grâce et de Dévotion, admis par faveur exceptionnelle. On ne compte actuellement qu’une cinquantaine de Chevaliers ayant prononcé des vœux simples ou solennels sur environ 13500 membres. Les Statuts furent révisés en 1961, 1997 et 2012 et l’ordre, qui porte désormais le titre d’Ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, admet des femmes, sous le nom de Dames. Le siège de l’Ordre, bénéficiant du privilège d’extraterritorialité, est depuis 1834 le Palais Magistral situé Via dei Condotti à Rome. Depuis 1994, l’Ordre a en outre un statut d’observateur aux Nations Unies, au même titre que le Comité International de la Croix Rouge.
L’Ordre dénie à tout ordre ou organisation le droit d’utiliser le titre de St Jean de Jérusalem, hormis aux quatre Ordres protestants, dont il a fini par reconnaître la légitimité historique. Pourtant, de tels ordres existent, souvent fondés par des descendants de ceux qui avaient reçu le titre de manière héréditaire en Russie.
L’Ordre de St Jean dans la franc-maçonnerie européenne
On sait que le légende templière pénétra la franc-maçonnerie assez rapidement après sa diffusion sur le continent européen, probablement dès les années 1740. Les Templiers étaient entourés d’une aura de mystère, de martyre, de secrets fabuleux et de trésors, et il n’est pas étonnant que l’univers des hauts grades maçonniques se soient emparés de leur prétendu héritage. Mais surtout, ils n’existaient plus et n’importe qui pouvait se prétendre leur descendant.
Il en allait tout autrement de l’Ordre de St Jean, qui existait bel et bien et dont tout le monde savait qu’il était un Ordre souverain. Personne n’aurait osé revendiquer une filiation de cet ordre, qui aurait immédiatement été démentie par le Grand Maître. De plus, beaucoup de francs-maçons avaient pris le parti des Templiers et dans cette perspective, les Chevaliers de St Jean étaient pour eux les "méchants" de l’histoire, ceux qui avaient profité de la fin tragique de l’Ordre du Temple pour s’enrichir. Ils sont d’ailleurs cités en termes peu amènes dans certains rituels de Kadosh du XVIIIe siècle, lesquels précisaient souvent qu’un Chevalier de Malte ne pouvait recevoir ce grade.
Même si le discours de Ramsay (1736 et 1737) mentionnait les Chevaliers de St Jean et non les Templiers comme origine de la franc-maçonnerie, la franc-maçonnerie française et européenne oublia rapidement cette mention pour ne s’intéresser qu’aux Templiers et elle chercha jamais à intégrer l’Ordre de St Jean dans ses hauts grades. C’est dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne que cet ordre va assez curieusement apparaître, peut-être à la fin du XVIIIe et en tout cas au XIXe siècle.
L’Ordre de St Jean dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne
La franc-maçonnerie templière va prendre dans les pays anglo-saxons une forme différente de ses homologues européens, qu’on peut résumer à trois courants principaux : la Stricte Observance Templière, qui deviendra en 1786 le Rite Écossais Rectifié, le Kadosh, actuel 30° degré du Rite Ecossais Ancien Accepté, et le Rite Suédois.
Une forme apparemment différente fit son apparition en Irlande en 1779 par la création d’une loge de Chevalier Templiers au bénéfice d’une patente émise par la Mère-Loge de Kilwinning en Écosse. Ce système se répandit dans les loges irlandaises et aboutit à la création vers 1790 d’un premier Grand Campement des Chevaliers Templiers, qui devint en 1836 le Suprême Grand Campement. D’Irlande, le système se répandit en Écosse.
En Angleterre, les Chevaliers Templiers apparurent dès les années 1780 dans les loges de la Grande Loge des Anciens, dont on connaît les rapports étroits avec la franc-maçonnerie irlandaise. Et en 1791 un premier Grand Conclave des Chevaliers Templiers fut fondé par Thomas Dunckerley (1724-1795), pour rassembler les Chevaliers épars en Angleterre.
En Amérique, le système templier fut intégré au Rite d’York, dont il représente la plus haute classe.
Le système maçonnique templier anglo-saxon consiste en plusieurs degrés, qui peuvent légèrement varier selon les constitutions. Mais dans tous les cas, il comprend le grade de Chevalier de Malte. Dans le Rite d’York, il est conféré avant le grade ultime de Chevalier Templier, alors qu’en Angleterre et en Écosse, il est uniquement communiqué aux Chevaliers Templiers mais ne fait généralement plus l’objet d’une cérémonie distincte.
Pourquoi cette apparition d’un grade de Chevalier de Malte au sein du système templier anglo-saxon ? Probablement parce que l’Ordre de St Jean avait été aboli par Henry VIII en 1536 et qu’il avait ainsi pu entrer de plein droit dans l’univers romanesque qui sous-tend tous les hauts grades maçonniques.
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