Quelque peu éclipsé par la figure de Jean Moulin à la Libération en 1945, Pierre Brossolette n’en reste pas moins un des grands acteurs de la Résistance Française pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais saviez-vous que Pierre Brossolette était franc-maçon ? Son engagement dans la Résistance s’adossait bien sûr à des convictions politiques et démocratiques, mais le fait que Pierre Brossolette ait été franc-maçon a certainement nourri sa vision de l’homme et de la société. Et surtout, sa mort fut celle d’un franc-maçon qui applique jusqu’au bout la loi du silence.


Pierre Brossolette avant la guerre

Pierre Brossolette naquit à Paris le 23 juin 1903. Son père Léon était inspecteur de l’enseignement primaire de Paris et sa mère Jeanne était la fille de Francisque Vial, qui deviendrait inspecteur général de l’enseignement public en 1919 et directeur de l’enseignement secondaire en 1924. Dans un tel environnement, les études étaient bien évidemment honorées et même les deux sœurs de Pierre furent agrégées, ce qui était alors assez rare parmi les femmes. Pierre termina premier de sa promotion à l’École Normale Supérieure en 1922, et second à l’agrégation d’histoire et géographie. Ayant suivi la préparation militaire supérieur durant ses études à l’École Normale Supérieure, il remplit ses obligations militaires et fut promu sous-lieutenant de réserve en 1925.


En 1926, il épousa Gilberte Bruel (1905-2004), qui deviendra en 1946 la première femme sénatrice de France. Ils eurent deux enfants, Anne et Claude, lequel, connu officiellement sous le nom de Claude Pierre-Brossolette (1928-2017), fut Secrétaire Général de la Présidence de la République entre 1974 et 1976, puis banquier.

 

 

 

 

Pierre Brossolette se lança alors dans le journalisme, écrivant dans plusieurs journaux de gauche. Il adhéra également à la Ligue des Droits de l’Homme et à la Ligue internationale contre l’antisémitisme. Le 22 janvier 1927 (ou le 23 avril, selon les sources), il fut initié à la Loge Émile Zola de la Grande Loge de France, puis poursuivit dans les hauts grades du Rite Écossais Ancien Accepté au sein du Suprême Conseil de France. Et en 1937, il s’affilia à la loge L’Aurore Sociale, à l’Orient de Troyes, du Grand Orient de France. Il se montra un franc-maçon très assidu jusqu’à l’éclatement de la guerre.


Dès 1929, il s’engagea activement en politique en adhérant à la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière, qui sera la principale composante du Parti Socialiste fondé en 1969). Il se présenta aux élections législatives de 1936 sous la bannière du Front Populaire, mais ne fut pas élu. Parti d’une position pacifiste, il se ravisa au vu des prétentions bellicistes du régime hitlérien. Il critiqua ouvertement les accords de Munich de 1938 et en janvier 1939, il était renvoyé de Radio PTT.


Pierre Brossolette pendant la guerre 


En 1939, Pierre Brossolette fut mobilisé avec le grade de lieutenant, puis fut promu capitaine. Lors de l’offensive allemande de 1940, il permit à son unité de se replier en ordre et avec son armement, ce qui lui valut la Croix de Guerre.


Dès l’hiver 1940-1941, il rejoignit le Réseau du musée de l’Homme, l’un des premiers mouvements de Résistance organisés en zone occupée. Puis il participa à la création de deux autres réseaux, Libération-Nord et l’Organisation Civile et Militaire (OCM). Avec son épouse, il acheta une librairie à Paris pour servir de boîte aux lettres et de lieu de rencontre pour la Résistance.


La nuit du 27 au 28 avril 1942, Brossolette s’envola clandestinement pour Londres afin d’y rencontrer le général de Gaulle, en tant que représentant de la Résistance. Il apportait avec lui de nombreuses informations très utiles pour la France Libre. Il demanda à rentrer en France, pour pouvoir rallier différentes personnalités politiques à la cause de la France Libre. Ce qu’il fit avec succès, en ramenant à Londres deux personnalités de la SFIO, mais aussi, plus surprenant, Charles Vallin (1903-1948), un ancien maurrassien, membre de la droite catholique, qui avait d’abord fait allégeance au régime de Vichy. C’est ensemble que Brossolette et Vallin s’engagèrent officiellement dans les Forces Françaises Libres le 29 septembre 1942.

 

 





En liaison avec le colonel Passy (André Dewavrin, 1911-1998, chef du service de renseignement de la France Libre), Brossolette devint l’intermédiaire entre la Résistance de la zone nord et Londres, de la même manière que Jean Moulin (1899-1943) assurait ce rôle pour la zone sud.


Parachuté une deuxième fois en France le 27 janvier 1943, Brossolette parvint non sans peine fédérer les mouvements de Résistance de la zone Nord au sein du CCZN (Comité de Coordination Zone Nord). Ce comité fondé le le 26 mars 1943 fut une étape importante sur le chemin de l’union de tous les mouvements de Résistance du nord et du sud au sein du Conseil National de la Résistance (CNR), qui fut constitué par Jean Moulin le 27 mai 1943.


De retour à Londres, Brossolette fut, le 18 juin 1943, l’un des orateurs de la cérémonie anniversaire de l’Appel du 18 juin tenue à l’Albert Hall. Et le 13 août, il rejoignit de Gaulle à Alger, d’où il partit pour une ultime mission en France. Il avait pour mission de réorganiser la Résistance en butte à des dysfonctionnements. 


L’arrestation et la mort de Pierre Brossolette 


C’est au terme de cette dernière mission qu’après plusieurs tentatives d’exfiltration infructueuses, Brossolette fut arrêté par l’armée allemande sur la côte bretonne en février 1944. Il fut emprisonné à la Kommandantur de Rennes, avant d’être identifié par le SD (Sicherheitsdienst, le service de renseignement de la SS) le 16 mars 1944. Brossolette fut alors transféré au siège de la Gestapo de Paris, ainsi qu’Émile Bollaert (1890-1978), un autre dirigeant de la Résistance arrêté avec lui.


Les deux hommes furent torturés deux jours durant et le 22 mars 1944, profitant d’une inattention d’un gardien, Brossolette se jeta par la fenêtre. Grièvement blessé, il fut transporté à l’hôpital de la Salpêtrière, où il mourut vers 22h. Il n’avait pas parlé, et le seul nom qu’il avait révélé à ses tortionnaires, c’était le sien. Il fut incinéré le 24 mars 1944 et ses cendres furent déposées au cimetière du Père Lachaise à Paris.


On ne peut s’empêcher de rapprocher la fin tragique de Pierre Brossolette de la mort d’Hiram telle qu’elle nous est dépeinte par la légende maçonnique : tous deux ont préféré mourir plutôt que de trahir le secret qu’ils détenaient.


La postérité de Pierre Brossolette 


À la Libération, Pierre Brossolette était incontestablement la plus grande figure de la Résistance. Mais on lui préféra finalement Jean Moulin, torturé lui aussi par la Gestapo et mort en juillet 1943 lors de son transfert en Allemagne. C’est les cendres de Jean Moulin que le général de Gaulle, alors président de la République, décida de transférer au Panthéon en 1964. Pourquoi cette relative éclipse de la mémoire de Pierre Brossolette ? Pour plusieurs raisons d’ordre plutôt politique. Le pouvoir voulait créer un récit mythique concernant la Libération, et souhaitait soutenir l’idée d’un chef unique de la Résistance intérieure qui fasse pendant au chef de la Résistance à Londres, soit le général de Gaulle. Mais pourquoi Moulin plutôt que Brossolette ? Brossolette était sans doute trop à gauche et surtout il avait toujours souhaité garder les partis politiques, qu’il jugeait responsables de la défaite de 1940, à l’écart des mouvements de Résistance, alors que Moulin s’en était très bien accommodé. On peut imaginer que certains dirigeants de partis lui aient conservé une certaine rancune.

 



Pierre Brossolette n’en fut pas moins honoré dans toute la France, et près de 500 rues portent son nom dans tout le pays, ainsi que plusieurs établissements d’enseignement public. La franc-maçonnerie ne fut pas en reste, puisque deux loges portent son nom, la Loge Pierre Brossolette-Compagnon de la Libération de la Grande Loge de France et la loge Pierre Brossolette-Terre des Hommes du Grand Orient de France. La Grande Loge nomma également son cercle de conférences publiques Condorcet-Brossolette et en 2014 elle baptisa Temple Pierre Brossolette son Grand Temple situé Rue Puteaux à Paris.


Finalement, un comité fut formé en 2013 pour proposer le transfert des cendres de Pierre Brossolette au Panthéon. Le président de la République François Hollande signa le décret le 7 janvier 2015, et Pierre Brossolette entra enfin au Panthéon le 27 mai 2015, 51 ans après Jean Moulin.

16 diciembre, 2024
Etiquetas: Histoire Personnage