Histoire du Grand Orient de France - Deuxième partie (1815-1848)
Le Grand Orient de France sous la Restauration (1815-1830)
Les thèses fallacieuses du Jésuite Augustin Barruel (dit "l’Abbé Barruel", 1741-1820), qui faisaient de la franc-maçonnerie l’instigatrice de la Révolution, commençaient à se diffuser et la franc-maçonnerie fut contrainte de se mettre en sommeil dans les pays qui avaient formé la Sainte-Alliance en 1815 (Autriche, Prusse et Russie). La situation fut plus nuancée en France, où le Grand Orient de France avait appris à se soumettre au pouvoir politique et où elle continuait à disposer d’appuis dans l’entourage de Louis XVIII, qui avait vraisemblablement été initié en 1784, tout comme son frère, le futur Charles X. La monarchie restaurée avait en outre pris acte de la nouvelle prépondérance de la bourgeoisie dans le société et n’entendait pas s’aliéner les forces économiques qu’elle représentait.
Aucune mesure ne fut donc prise contre le Grand Orient de France en tant que tel, les éventuelles poursuites judiciaires n’ayant concerné que des individus. Il put donc poursuivre ses activités, sous le contrôle de nouveaux maîtres acquis au pouvoir royal. C’en était donc fini de la Grande Maîtrise de Joseph Bonaparte et du pouvoir de Cambacérès.
Mais, fait curieux, Joseph Bonaparte n’ayant jamais démissionné formellement, le poste de Grand Maître fut déclaré vacant, et ce jusqu’en 1852. Le plus haut dirigeant du Grand Orient de France prit donc durant cette période le titre de Grand Conservateur ou de Grand Maître Adjoint. En 1815, c’est Pierre Riel de Beurnonville (1752-1821), ancien général de l’Empire rallié à Louis XVIII et devenu pair de France, qui est désigné Grand Maître Adjoint et succède donc Cambacérès, jusqu’à sa mort en 1821. Puis la fonction échut à Étienne Macdonald (1765-1840), qui avait le même profil que Riel : ancien Maréchal d’Empire devenu pair du Royaume. Il dirigea le Grand Orient de France jusqu’en 1833.
Le Suprême Conseil eut moins de chance que le Grand Orient, formé comme il l’était d’une majorité de dignitaires impériaux fidèles à l’Empire. Il fut donc contraint de se dissoudre. Le Grand Orient de France en profita pour s’approprier le Rite Écossais Ancien Accepté, qu’elle confia à un Grand Consistoire des Rites, qui deviendra le Grand Collège des Rites en 1826.
Le duc Élie Decazes (1780-1860), favori de Louis XVIII, ministre de l’intérieur puis premier ministre, parvint à rassembler les différentes dissidences du Suprême Conseil qui s’étaient formées pour constituer en 1821 le Suprême Conseil de France du Rite Écossais Ancien Accepté que nous connaissons encore aujourd’hui et qui devint alors le grand rival du Grand Orient de France. Monarchiste mais libéral, sa présence aux côtés de Louis XVIII, dont il fut le favori jusqu’en 1820, contribua à maintenir le pouvoir dans une ligne plutôt libérale.
Le Grand Orient de France avait jadis célébré la gloire de Napoléon, il chantait maintenant les louanges de Louis XVIII puis de Charles X avec le même enthousiasme affiché. Bourgeois, libéral et déiste, il se tenait prudemment éloigné de toute polémique politique ou religieuse. Cela n’empêcha pas certains de ses membres (surtout les plus jeunes et les plus progressistes) de participer aux différentes sociétés plus ou moins secrètes qui tendaient à faire tomber à nouveau la monarchie, notamment le Carbonarisme, implanté en France par le biais du Rite de Misraïm depuis 1815, et la société "Aide-toi, le ciel t’aidera" fondée en 1827. Une frange du Grand Orient de France, assez radicale, participa donc activement à l’opposition au régime, tandis que la majorité, libérale ou monarchiste modérée, attendait prudemment le dénouement des événements.
L’assassinat en 1820 du duc de Berry (fils du Comte d’Artois, futur Charles X) fut l’occasion d’un raidissement politique. Les ultraroyalistes, faisant des libéraux les responsables de ce meurtre, firent tomber le duc Decazes, qui fut remplacé par le duc de Richelieu (1766-1822), lequel rétablit la censure de la presse, puis se retira en 1821, laissant la place au chef du parti ultraroyaliste, Joseph de Villèle (1773-1854). C’est dans ce contexte que mourut Louis XVIII en 1824 et que lui succéda Charles X, plus autoritaire, conservateur et influencé par le clergé catholique que son frère.
L’opposition entre les ultraroyalistes et les libéraux était à son comble, et en 1827, les libéraux et les royalistes modérés parvinrent à s’unir et à fonder la société "Aide-toi, le ciel t’aidera" mentionnée plus haut, qui compta de nombreux francs-maçons dans ses rangs. Des manifestations publiques furent organisées et aux élections de 1827, grâce à l’action de cette société, la Chambre bascula du côté libéral. Charles X désigna un nouveau conseil des ministres, mi-royaliste mi-libéral, présidé par le vicomte de Martignac (1778-1832), qui rétablit la liberté de la presse. Mais les années 1828 à 1830 s’avérèrent très difficiles pour la France : mauvaises récoltes, épidémies, explosion du coût de la vie. Des émeutes éclatèrent, des convois de céréales furent attaqués.
Charles X renvoya Martignac en août 1829 et nomma à sa place un ultraroyaliste, le prince Jules de Polignac (1780-1847). Le roi tenta alors de reprendre la main en dissolvant la Chambre le 18 mai 1830, dans l’espoir que de nouvelles élections permettent aux ultraroyalistes de l’emporter. Mais en juillet 1830, les libéraux l’emportèrent à nouveau. Charles décida alors un coup de force : par les Ordonnances de St-Cloud (25 juillet 1830), il supprimait la liberté, dissolvait la nouvelle chambre et modifiait les règles d’élection censitaire, de manière à pouvoir exclure du vote une partie de la petite bourgeoisie. Les nouvelles élections étaient prévues pour septembre 1830.
Ces Ordonnances mirent le feu aux poudres. Des comités insurrectionnels s’étaient déjà organisés à Paris, souvent sous l’impulsion de jeunes francs-maçons progressistes du Grand Orient de France et de Carbonari. La Révolution de Juillet, dite des "Trois Glorieuses" éclata, qui dura trois jours, du 27 au 29 juillet 1830. Les premières émeutes tournèrent rapidement à l’insurrection révolutionnaire et l’on se battit dans les rues. L’armée tira sur les insurgés, faisant des centaines de morts.
Le 30 juillet, Charles X s’enfuit à Rambouillet et le même jour, les députés insurgés le déchurent de son titre de roi et désignèrent comme Lieutenant-Général du Royaume Louis-Philippe d’Orléans, duc d’Orléans (le fils aîné de Philippe Égalité, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, décapité, l’on s’en souvent, en 1793). De son côté, le 2 août, Charles X, ainsi que son fils, abdiqua en faveur de son petit-fils, Henri V, âgé de neuf ans, et confia la Régence au même Louis-Philippe d’Orléans. Louis-Philippe se voyait donc investi du pouvoir par les insurgés comme par le roi déchu ! Il allait devoir choisir quel camp choisir. Mais pour lui, les plus grands risques étaient tant le retour des Bourbons sur le trône que la restauration de l’Empire ou l’instauration d’une République. Il opta pour la formule la plus susceptible de contenter les libéraux et les monarchistes modérés : la monarchie constitutionnelle.
C’est donc le 9 août 1830 qu’après avoir exercé neuf jours la fonction de Lieutenant-Général du Royaume, Louis-Philippe d’Orléans fut proclamé Roi des Français, le même titre qui avait été imposé à Louis XVI en 1791 pour signifier que la royauté émanait de la nation et n’était pas de droit divin. Lors de son intronisation, c’est Étienne Macdonald, duc de Tarente, pair de France et Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France qui lui présenta la couronne royale.
Le Grand Orient de France sous la Monarchie de Juillet (1830-1848)
Si la frange la plus radicale du Grand Orient de France avait activement participé à la chute de Charles X, la majorité de ses membres, libéraux et monarchistes modérés pour la plupart, s’étaient prudemment tenus à l’écart des événements, dans l’attente d’un dénouement qu’ils espéraient heureux. C’est donc avec satisfaction qu’ils accueillirent dans un premier temps l’intronisation d’un souverain libéral susceptible de répondre à leurs aspirations. Le rôle éminent joué par le Grand Maître Adjoint lors du couronnement de Louis-Philippe laissait d’ailleurs augurer d’un avenir radieux.
Mais la réalité se révéla moins idyllique que ce qu’ils avaient espéré. La situation politique de la France était alors, il faut le reconnaître, des plus complexes. Louis-Philippe et ses gouvernements successifs durent faire face à une opposition multiple : les légitimistes, les bonapartistes et les républicains. Si les républicains agissaient surtout par le biais de clubs révolutionnaires, créés à l’image des clubs de la Révolution et à l’origine de nombreux complots, les légitimistes et les bonapartistes tentèrent eux aussi de faire tomber le pouvoir des insurrections et des tentatives de coups d’état.
La franc-maçonnerie fut alors considérée comme un foyer potentiel de troubles et d’insurrection, et soumise à une stricte surveillance policière. Cette crainte du pouvoir n’était pas sans fondement, si l’on se souvient de la part active qu’avaient prise certains éléments du Grand Orient de France aux événements des "Trois Glorieuses". Louis-Philippe, bien qu’ayant profité de cette brève révolution pour prendre le pouvoir, ne la désapprouvait pas moins, et ne souhaitait pas que des tels troubles se reproduisent.
En 1830, la franc-maçonnerie était composée de trois Obédiences : le Grand Orient de France, le Suprême Conseil de France et le Rite de Misraïm, fondé en Italie en 1805, mais implanté en France depuis 1815. Et en 1838, elles étaient rejointes par le Rite de Memphis, dissidence de Misraïm. Les positions politiques de ces quatre organisations étaient assez différentes. À part une frange progressiste et républicaine, le Grand Orient de France comptait une majorité de bourgeois et de monarchistes modérés plutôt conformistes ; ayant bénéficié de l’engagement et du soutien du duc Decazes sous la Restauration, le Suprême Conseil (présidé par Decazes de 1838 à 1860) était plus conservateur et aristocratique dans son recrutement, même s’il comptait quelques Loges plus progressistes ; le Rite de Misraïm, qui avait été fondé en Italie en 1805 par des anciens de l’Armée d’Italie de Bonaparte, avait des liens avec les Carbonari et ne cachait pas sa nostalgie bonapartiste et ses aspirations révolutionnaires ; et le Rite de Memphis était lui aussi formé de républicains et de bonapartistes.
La Monarchie de Juillet est une époque charnière dans l’histoire de la France. Sur le plan politique, bien sûr, mais aussi et surtout sur les plans économiques et sociaux. La Révolution Industrielle, amorcée en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle, commençait à se déployer en France, générant une nouvelle classe sociale, la classe ouvrière, et plus généralement une nouvelle classe moyenne formée d’employés.
Le Grand Orient de France ne pouvait rester à l’écart de ce monde en mutation. Alors qu’il était encore dirigé par une bourgeoisie aisée, le nombre de membres issus de milieux plus modestes (artisans, employés…) allait croissant. Il connut donc des débats internes, signes annonciateurs de ses évolutions ultérieures. À partir des années 1840, des Loges s’interrogeaient sur la nécessité d’exiger des francs-maçons qu’ils croient en Dieu, certaines estimaient que leur devoir était de s’engager sur les questions sociales et politiques, voire même de s’opposer au gouvernement. Le Grand Orient de France en tant qu’institution tenta de juguler ces mouvements contestataires en augmentant en 1847 le montant des capitations, pour limiter l’accès à la classe moyenne. Il suspendit également des Loges, ou imposa à d’autres de supprimer certaines sujets sensibles de leur ordre du jour.
La Monarchie de Juillet, qui promettait d’être un régime libéral, se durcit de plus en plus, au gré de l’instabilité parlementaire qui la caractérisait et des nombreux troubles et soulèvements auxquels elle dut faire face. Louis-Philippe refusait obstinément d’envisager le suffrage universel réclamé par les républicains et il devint de plus en plus impopulaire. En 1847, le gouvernement du maréchal Moult (1769-1851) en vint à interdire les réunions politiques et dans la foulée tenta également d’interdire aux officiers et sous-officiers de l’armée d’appartenir à la franc-maçonnerie, toujours considérée comme un facteur de trouble.
À partir de juillet 1847, les républicains commencèrent à organiser un peu partout en France des banquets, sur le modèle des banquets républicains de la Révolution, dans le but de contourner l’interdiction des réunions politiques. En place depuis septembre 1847, le gouvernement de Guizot (1787-1874) tenta de s’y opposer. Et c’est l’interdiction du banquet qui devait être organisé à Paris le 19 février 1848 qui mit le feu aux poudres. Reporté au 22 février, il fut ensuite annulé par ses organisateurs, semblant donner au raison au gouvernement. Mais les éléments les plus républicains n’en restèrent pas là. L’un des organisateurs du banquet, Armand Marrast (1801-1852), leader de l’opposition, directeur du journal "Le National" et membre du Grand Orient de France, incita la population parisienne à se soulever et le 22 février, plus de 3000 personnes s’assemblèrent pour marcher sur le Palais Bourbon, scandant des slogans antigouvernementaux. Le 23 juillet, l’armée tirait sur la foule et le 24 la situation devint intenable : devant le flot des insurgés, l’armée se retira de Paris. Les troupes chargées de garder les Tuileries ayant manifesté de l’hostilité à son égard, et ses généraux ne voyant aucune issue, Louis-Philippe abdiqua le 24 février en faveur de son petit-fils, le Comte de Paris, avant de prendre le chemin de l’exil, en Angleterre, non sans avoir désigné sa bru, la duchesse d’Orléans, régente du royaume.
Mais le pouvoir était déjà aux mains des républicains, qui avaient investi le Palais Bourbon, et même si de nombreux députés modérés étaient prêts à accepter la régence de la duchesse d’Orléans, la IIe République fut proclamée le 24 juillet 1848, par Adolphe Lamartine (1790-1869), poète, Académicien et homme politique très proche des francs-maçons.
Par sa brièveté, la Révolution de 1848 rappelle les "Trois Glorieuses" de 1830, mais elle n’en pas moins bien différente, car elle eut une dimension bien plus populaire et prolétaire. Et dans la perspective qui nous intéresse ici, les francs-maçons, particulièrement du Grand Orient de France, y jouèrent un rôle plus important. Si en 1830, seule une frange du Grand Orient de France participa activement aux événements, le nombre de francs-maçons acquis à la République était bien plus important en 1848, au point qu’ils étaient probablement devenus majoritaires à ce moment-là. Le gouvernement provisoire de la nouvelle République instauré autour de Lamartine en 1848 comptait d’ailleurs cinq francs-maçons sur onze membres.
Cette mutation interne Grand Orient de France est parfaitement illustrée par la descente progressive de statut social des Grands Maîtres Adjoints ou Grands Conservateurs de l’Ordre. Si Antoine-Guillaume Rampon (1759-1842) est encore un ancien général d’Empire devenu pair de France, comme ses deux prédécesseurs, Alexandre de Laborde (1773-1842), comte d’Empire, n’est que député, de même qu’Emmanuel Pons de Las Cases (1800-1854), fils de l’auteur du fameux "Mémorial de Sainte-Hélène" ; et Laurent Bertrand (1795-1861) n’est plus qu’un bourgeois, président du Tribunal de Commerce de la Seine et député.
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