Les Cinq Cartouches qui apparaissent lors de la réception au grade de Compagnon ne parleront pas forcément aux francs-maçons anglo-saxons ou nordiques, mais il s’agit d’un lieu commun pour une grande partie de la franc-maçonnerie francophone. Quels sont les Cinq Cartouches du grade de Compagnons ? Comment sont-ils utilisés dans le rituel ? Dans quels Rites les trouve-t-on? Sont-ils exactement les mêmes dans tous ces Rites ? Et surtout quand et pourquoi ces Cinq Cartouches ont-ils été intégrés à la cérémonie de réception au grade de Compagnon ? C’est ce que nous allons tenter de découvrir dans cet article.

 

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Que sont les Cinq Cartouches du grade de Compagnon ?

Les Cinq Cartouches du grade de Compagnon sont des petites pancartes sur lesquelles sont inscrits un certain nombre de mots ou de noms. On entend souvent des personnes mettre ces cartouches au féminin, mais il s’agit d’une erreur. Une cartouche est un étui, un contenant, mais un cartouche est un ornement graphique entourant une inscription, comme c’était particulièrement le cas dans l’Égypte ancienne.


Il existe actuellement au moins trois versions principales des Cinq Cartouches, avec probablement quelques variantes locales. Au Rite Écossais Ancien Accepté, le premier Cartouche porte les noms des cinq sens (vue, ouïe, goût, toucher, odorat) ; le deuxième mentionne les cinq ordres d’architecture (dorique, ionique, corinthien, toscan, composite) ; le troisième énumère les arts libéraux (grammaire, rhétorique, logique, géométrie, musique, astronomie) ; le quatre énumère les bienfaiteurs de l’humanité (Moïse, Pythagore, Socrate, Jésus, Confucius) ; le dernier arbore la devise "Gloire au travail".

 

Les Cinq Cartouches du REAA

 

 

Au Rite Français "Groussier" en usage au Grand Orient de France actuellement, on a l’énumération de cinq mots commençant tous par la lettre G (Gravitation, Génération, Génie, Géométrie, Gnose), qui remplace une version plus ancienne (les Cinq Sens, les Arts, la Science, l’Humanité, le Travail), toujours suivie au Rite Français Moderne Rétabli.


Au Rite de Memphis-Misraïm, les cartouches sont les mêmes qu’au Rite Écossais Ancien Accepté, sauf en ce qui concerne les grands initiés, qui deviennent ici Solon, Socrate, Lycurgue, Pythagore et I.N.R.I..


Dans ces rites, l’usage rituel des cinq cartouches consiste à les faire découvrir par le futur Compagnon au cours des cinq voyages symboliques qu’il doit effectuer pendant sa cérémonie de passage.


La grande concision du grade de Compagnon dans les rituels français du XVIIIe siècle 

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les cinq cartouches sont apparus assez tardivement dans les rituels maçonniques français et sont totalement absents des rituels du XVIIIe siècle. Ils participent d’une amplification de la cérémonie de réception au deuxième grade qui s’instaure progressivement au cours du XIXe siècle.


Les rituels maçonniques français du XVIIIe nous présentent un deuxième grade des plus réduits. Les manuscrits qui nous parvenus montrent en effet que Ia cérémonie de passage d’un Compagnon était très brève et semble-t-il porteuse d’assez peu de symbolisme. À titre d’exemple, voici la reproduction de la cérémonie de réception d’un Compagnon selon le Rituel de Berne (vers 1740-1744), le plus ancien rituel maçonnique manuscrit connu en langue française (nous citons selon l’original, avec son orthographe d’époque) :


"La Loge est disposée pour la Reception d'un Compagnon, tout comme pour celle d'un Aprentif. Le tableau est le même on y ajoute seulement la lettre G. Au milieu de l'Etoile Flamboiante ; I. sur la Colonne à Gauche, B sur la Colonne a droite ; Il y a peu de difference pour les Ceremonies de la Reception ; on ne fait point deshabiller le Recipiendaire. Le Venerable ouvre la Loge de meme que celle d'Aprentif, après cela il envoie le frere-Introducteur, qui prepare le Recipiendaire par de belles Paroles, & qui Vient ensuite frapper a la porte de la Loge par trois Coups, qui sont repétés au dedans par le Venerable & les Surveillans, le frere Jeune Voit qui frappe, & Vient dire au Venerable ; R. C'est un Aprentif Maçon qui desire d'étre receu Compagnon [suit un dialogue de quatre questions rituelles] Il Entre, le 2d. Surveillant luy fait faire trois tours de la Loge Comme aux Aprentifs, et le remet ensuite au premier ; Alors le Venerable luy fait encore une fois les Questions cy dessus : Et ordonne qu'on le fasse Avancer a luy. par trois pas de Compagnon ; Arrivé qu'il est au pied du Throne, On luy fait mettre le geneouil droit en terre, pour renouveler ses Obligations. Ensuite le Venerable luy donne les Signes, Mot & Marque, & le Mot de passe des Compagnons."


Les autres rituels maçonniques français avant les années 1780 présentent tous la même brièveté et sobriété, à l’exception du manuscrit Luquet (vers 1745), qui est le premier à faire voyager le récipiendaire cinq fois, et attribue chaque voyage aux tâches que le Compagnon doit effectuer pendant ses cinq années de formation. C’est de ce rituel que provient l’usage de faire voyager le futur Compagnon muni d’outils, qui diffèrent à chaque voyage.


Amplification progressive du rituel du deuxième grade 

C’est la forme plus symbolique et plus consistante présentée par le manuscrit Luquet que le Grand Orient de France adopta lors de son unification des rituels, qui donna le Rite Français de 1785, publié sous le nom de Régulateur du Maçon en 1801. Cette belle cérémonie, centrée sur la symbolique des outils, va s’imposer dans la franc-maçonnerie française pour des décennies. 

 

La Pierre Cubique du Compagnon

 

 

Avec des variantes mineures, c’est cette même cérémonie qui fut adoptée par les premières loges symboliques françaises du Rite Écossais Ancien Accepté en 1804, par le Rite de Misraïm dans ses rituels des années 1815-1820 et par le Rite de Memphis dans sa version de 1838-1839.

 

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Apparition des Cartouches au XIXe siècle 

Mais un changement ne tarda pas à s’opérer au sein des rituels maçonniques français du XIXe siècle. Positivisme et rationalisme s’imposèrent au détriment du simple symbolisme et les rituels devinrent de plus en plus verbeux, moralisants, didactiques et explicatifs. C’est dans cette perspective que la très belle cérémonie de réception de Compagnon ne sembla plus suffisante. Dans sa version de 1829, le Suprême Conseil de France du Rite Écossais Ancien Accepté y ajouta trois Cartouches (les Cinq Sens, les Arts Libéraux, les Ordres d’architecture), puis un quatrième (les Philosophes) en 1877. Le cinquième cartouche (la Glorification du Travail) fut ajouté par la Grande Loge Symbolique Écossaise, obédience très progressiste née d’une scission d’une douzaine de Loges du Suprême Conseil de France en 1880, qui s’éteignit en 1911). Et c’est au rituel de cette éphémère Grande Loge que le Grand Orient de France emprunta les cinq cartouches pour sa version de 1887 du Rite Français (version "Amiable").


Les Cinq Cartouches du grade de Compagnon se sont donc imposés au cours d’un long processus qui s’étala entre 1829 et 1880 et ne font pas partie du noyau dur des rituels maçonniques. Pourtant ils se sont largement répandus dans les rituels maçonniques français, y compris dans le Rite de Memphis-Misraïm et dans le Rite Français Moderne Rétabli ; il n’y a guère que le Rite Écossais Rectifié, le Rite Français Traditionnel, le Rite Opératif de Salomon et la Stricte Observance Templière qui soient restés fidèles aux usages plus dépouillés de la fin du XVIIIe en ce qui concerne la réception des Compagnons.

18 novembro, 2024
Etiquetas: Symbolisme