La Pierre en franc-maçonnerie
Fondée sur le symbolisme des Bâtisseurs, la franc-maçonnerie ne pouvait ignorer la Pierre, qui est, avec le bois, le matériau fondamental de la construction du Temple, selon la tradition. Dans la franc-maçonnerie symbolique, c’est-à-dire la franc-maçonnerie des trois grades d’Apprenti, Compagnon et Maître, la Pierre est un symbole majeur, qui nous parle de la nature profonde de l’être humain et de sa potentielle transformation au travers du travail maçonnique. La franc-maçonnerie a donc choisi la réalité matérielle qui nous semble la plus inerte, le plus rétive au changement, pour évoquer le développement personnel, l’éclosion des richesses et beautés cachées au-dedans de nous. C’est tout un programme!
La Pierre Brute de l’Apprenti
C’est dès son initiation que l’Apprenti découvre la Pierre, sous la forme de la Pierre Brute. On lui apprend qu’il est lui-même cette Pierre Brute, sur laquelle il va devoir apprendre à travailler, pour enlever ses aspérités, lui donner forme et la rendre apte à entrer dans le grand projet de construction du Temple.
La Pierre Brute est riche de potentialités, qui sont encore masquées par l’opacité et la lourdeur de la réalité concrète. Seul le travail assidu de l’Apprenti commencera à donner forme à cette Pierre, et lui donnera la place qu’elle est destinée à avoir dans l’édifice. Car toutes les Pierres ne se valent pas, toutes ne sont pas propres à la taille. Il convient donc de comprendre la nature de la Pierre avant de commencer à la travailler.
C’est pourquoi, dans les Rites qui placent la formule alchimique V.I.T.R.I.O.L. dans le Cabinet de Réflexion, on peut dire que le travail de la Pierre commence déjà à ce moment-là. "Visita Interiorem Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem, Visite l’Intérieur de la Terre, et en rectifiant tu trouveras la Pierre cachée". Au premier abord, on parle ici de la Pierre Philosophale, mais ce symbolisme peut-être trop spécifiquement alchimique cache sans doute une réalité plus simple, plus proche du processus initiatique de la franc-maçonnerie : avant d’apprendre à dégrossir la Pierre Brute, de la tailler et de la polir jusqu’à en faire une Pierre Cubique parfaite, ne faut-il pas déjà trouver la Pierre ? Le travail sur la Pierre Brute commence donc d’abord par une prise de conscience de qui l’on est, de ce que l’on peut et de ce que l’on veut devenir.
C’est exactement comme la petite fable du "Cheval dans la pierre", rapportée par Marie Christine Barrault dans son ouvrage éponyme : On avait commandé à un artiste une sculpture destinée à un grand ensemble. Un matin, on livra un énorme bloc de pierre devant les enfants ébahis. Le sculpteur se mit alors au travail tandis que la marmaille était dispersée par les vacances. La rentrée ramena son petit monde, et les enfants découvrirent la magnifique statue équestre. Le sculpteur était près de son œuvre. Un petit garçon s’adressa à lui : "Monsieur, elle est belle ta statue, mais dis-moi, comment savais-tu que le cheval était à l’intérieur de la pierre ?"
Le V.I.T.R.I.O.L., c’est apprendre à "écouter" la Pierre que nous sommes.
La Pierre Cubique du Compagnon
Ayant compris la nature de sa Pierre, le Compagnon, armé de nouveaux outils et enrichi de la Connaissance de la Géométrie, peut poursuivre la tâche. Le but, si l’on en croit les rituels, c’est de parvenir à une Pierre Cubique parfaite, qui pourra s’intégrer harmonieusement avec les autres pierres de l’édifice.
Dans la logique symbolique de la construction, c’est tout à fait cohérent. Mais la limite de ce symbolisme, c’est l’impression d’uniformisation qu’il peut produire. La franc-maçonnerie a-t-elle pour but de créer des humains strictement identiques, interchangeables comme le sont les pierres avec lesquelles on bâtit un édifice ? Certainement pas. La perfection du cube est une abstraction symbolique qu’il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre. Cette perfection géométrique est plutôt le symbole de la compatibilité de tous ceux qui ont appris à se connaître et à s’améliorer, de leur capacité à s’associer et à collaborer de manière harmonieuse.
Si le Compagnon a vraiment découvert sa propre pierre, la tailler de manière parfaitement cubique ne la rendra jamais identique à aucune autre ; pourtant ce travail est nécessaire pour que la construction commune soit possible, car la franc-maçonnerie n’est pas une mystique, mais une œuvre collective. On n’est pas franc-maçon tout seul.
Et la Pierre Cubique à pointe ?
De nombreux rituels précisent un détail sur la forme de la Pierre Cubique : il s’agirait d’une Pierre Cubique à Pointe. Et elle est souvent représentée ainsi sur les Tapis de Loge. De quoi s’agit-il vraiment ? Cette Pierre Cubique à Pointe a-t-elle une justification architecturale et symbolique ?
Du point de vue architectural, on voit mal l’utilité d’une Pierre Cubique à Pointe pour monter des murs. Tout au plus pourrait-elle servir pour réaliser des revêtements extérieurs à bossage, c’est-à-dire un mur dont la face extérieure des pierres est saillante, et dans le cas présent selon la forme dite "à pointe de diamant". Mais techniquement, la partie saillante du bossage correspondait à la partie de la pierre posée sur le sol pendant le taille, qui était laissée brute et n’était finie qu’une fois le mur monté. Personne n’a donc jamais taillé une pierre cubique à pointe en soi.
D’où vient donc cette Pierre Cubique à Pointe ? Tout d’abord, il faut remarquer qu’elle est totalement absente des anciens documents maçonniques anglais et qu’elle n’appartient pas à la symbolique des rites anglo-saxons. On ne trouve mention de cette pierre que dans des rituels de langue française, et seulement à partir des années 1740 (manuscrit de Berne, vers 1740-1744 ; manuscrit Luquet vers 1745 ; divulgation "Le Sceau Rompu", 1745). Et selon ces rituels, elle sert aux Compagnons à aiguiser leurs outils.
Cette invention - car s’en est une - repose sur trois erreurs ou mécomprehensions. Tout d’abord, une probable interprétation fautive du graphisme de la Pierre Cubique figurant sur les Tapis de Loge français du XVIIIe siècle : une pierre cubique en trois dimensions peut en effet donner l’impression d’avoir une pointe.
Ensuite, une tentative d’interprétation de cette particularité à partir d’une mauvaise traduction ou compréhension d’un élément connu de la franc-maçonnerie anglaise, attestée par le Manuscrit "Wilkinson" de 1727. Dans ce document, on apprend qu’un parpaing particulier ("Dented Asler", pour "Dented Ashlar") sert au Compagnon pour éprouver ("try") ses "bijoux" ("Iewells", pour "Jewels"), et les "bijoux mobiles" décrits par le "Wilkinson" sont l’Équerre, le Niveau et le Fil à Plomb. Mais qu’est-ce que le "Dented Ashlar" ? Si en anglais contemporain "to dent" signifie "cabosser", "bosseler","marquer une surface avec un objet contendant", en anglais moderne naissant (c’est-à-dire l’anglais pratiqué entre le XVe et le XVIIIe siècle), il signifiait "marquer d’une entaille le bord d’un objet". Le "Dented Ashlar" était donc un parpaing gradué qui servait d’étalon pour vérifier la rectitude des outils comme l’équerre, le niveau, la perpendiculaire et qui donnait probablement la longueur de la règle.
Certains outils étaient donc bien appliqués sur cette Pierre Cubique, mais pour y être vérifiés et non aiguisés. D’où vient donc cette idée fantaisiste de l’aiguisage ? D’une troisième mécompréhension : les Tapis de Loge représentaient souvent la Pierre Cubique surmontée d’un outil en forme de hache, le tranchant placé près de la "pointe". Les francs-maçons français n’ayant pas les clés pour comprendre en déduisirent que la Pierre servait à aiguiser l’outil. Mais cet outil est simplement une laie ou un marteau bretté et n’est qu’une réminiscence opérative du temps où effectivement on taillait la pierre avec de tels outils, et non avec le maillet et le ciseau, qui sont les outils du sculpteur.
La Pierre Cubique à Pointe n’a donc aucune justification opérative et montre que la franc-maçonnerie qui se développait en France au XVIIIe siècle n’avait plus grand chose à voir avec la tradition des anciens bâtisseurs. Mais cette pierre très particulière n’en est pas dénuée de signification symbolique pour autant.
Qu’est-ce qu’une Pierre Cubique à Pointe sinon un cube auquel on a ajouté une pyramide. Le cube, basé sur le nombre Quatre est la symbolisation en trois dimensions du monde matériel. La pyramide quant à elle part du carré de la matière pour rejoindre le point de l’unité en s’élevant. Et ce point unique suppose le cercle. La Pierre Cubique à Pointe pourrait donc signifier "passer de l’Équerre au Compas" et aurait sa place au troisième grade plutôt qu’au deuxième. Cela permettrait d’avoir une Pierre pour chacun des trois grades symboliques, ce qui n’est pas le cas actuellement.
La Pierre Cubique à Pointe peut aussi être comprise comme un symbole de la Lumière qui informe la Matière. La forme de cette pierre rappelle en effet la forme des pyramides et des obélisques égyptiennes : or il est très vraisemblable que les anciens Égyptiens avaient matérialisé par cette forme les rayons descendants du Soleil. Interprétée ainsi, la Pierre Cubique Pointe aurait sa place au deuxième comme au troisième grade. Au grade de Compagnon, cette Lumière descendante pourrait être reliée à l’Étoile Flamboyante, en tant que Principe Créateur et Ordonnateur du monde. Et au grade de Maître, cette Lumière pourrait être comprise comme le Principe Régénérateur qui transcende la mort.
Que la Pierre Cubique à Pointe soit née d’une erreur d’interprétation n’enlève rien à la riche signification symbolique qu’elle peut avoir. Elle offre de nouveaux champs de réflexion propres à nourrir le Cherchant qui chemine sur la Voie de l’Initiation.
ICH MÖCHTE NEUIGKEITEN UND EXKLUSIVITÄTEN ERHALTEN!
Bleiben Sie auf dem Laufenden über neue Blog-Artikel, Neuheiten und Sonderangebote von Nos Colonnes.