Interview : Christophe Ravel, Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de Suisse (GOS)
Christophe Ravel
Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de Suisse (GOS)
- Quand avez-vous été initié ? Quel est votre parcours dans la franc-maçonnerie ?
J’ai été initié, le 26 février 2009 au sein de la Respectable Loge Le Labyrinthe à l’Orient du Genevois. (www.le-labyrinthe.ch) une des loges genevoises du Grand Orient de Suisse. (www.g-o-s.org) J’ai ensuite fait le chemin classique de tout franc-maçon. Je suis passé Compagnon puis Maître lorsque mes frères ont estimé que le temps était venu pour moi. J’ai occupé pendant ce laps de temps plusieurs offices au sein de ma loge, pour finalement en 6018 devenir Vénérable Maître de mon atelier jusqu’en début d’année 6022. Mon Vénéralat a duré un petit peu plus longtemps que la normale du fait principalement de la période Covid. Ce laps de temps fut avec le recul très intéressant, il nous a forcés à nous repenser et à nous engager pleinement dans la voie du dynamisme. J’ai ensuite proposé ma candidature puis j’ai été élu par mes frères du GOS au poste de Très Respectable Grand Maître en fin d’année 6022.
- Qu'est-ce qui vous a inspiré dans votre souhait de rejoindre la franc-maçonnerie ?
Je crois que nous n’arrivons jamais à la franc-maçonnerie tout à fait par hasard, en tout cas si nous partageons ses valeurs. Nous devons cela à nos parents et à la société qui nous a vu grandir. Les notions de Liberté, d’Égalité et de Fraternité ont toujours eu de la résonance chez moi et j’ai toujours vu l’altérité, rencontrée dans mes voyages, comme une formidable richesse. Je crois que le terreau était fertile au moment où j’ai eu mes premiers contacts avec la franc-maçonnerie. Sans le savoir, je côtoyais plusieurs francs-maçons, jusqu’au jour où l’un d’eux s’est ouvert à moi. Mon parcours maçonnique a alors commencé. Beaucoup passent à côté de ce chemin initiatique alors qu’ils ont les valeurs requises. Il nous faudrait plus communiquer sur le fait que la franc-maçonnerie est ouverte à tout le monde et cela, quel que soit le parcours du postulant.
- Que retenez-vous de votre parcours initiatique jusqu’à aujourd’hui ?
Beaucoup de moments de découvertes, de fraternité et de remises en question. Les premiers pas en franc-maçonnerie sont toujours incroyables. Il y a tellement de nouveautés que nous sommes en général émerveillés. Si je dois tout de même retenir un élément important avec le recul, c’est le travail de transmission qui est à réaliser. Depuis des siècles ce travail est fait sans interruption. Au fur et à mesure de notre progression, nous prenons conscience que le travail n’est pas tourné uniquement sur soi, mais sur les autres aussi. Nous sommes ainsi à la fois l’outil et la matière. Les exemples sont légion, surtout lorsque vous avez eu des postes à tenir, mais je vous livre un exemple, qui a été fondateur et qui illustre mon propos.
Alors jeune Compagnon, mon parrain, Daniel, m’a invité à réaliser ma propre canne. Le projet me plaisait et je suis donc allé couper une branche d’arbre dans son jardin. Après avoir fait sécher le bois et travaillé dessus pendant plusieurs mois, j’ai terminé le travail en taillant une magnifique chouette à son sommet. Me voici après plus d’une centaine d’heures de travail, détenteur d’une magnifique canne, ma canne ! Quelque temps plus tard, ce fut pour mon parrain l’occasion de m’enseigner ce qu’était la transmission en m’incitant à transmettre ma canne au prochain Compagnon de l’Atelier. Transmettre c’est donner de soi, une part que l’on aime pour le bien et le plaisir de l’autre. Ce n’est pas se débarrasser de quelque chose que nous n’aimons pas ou qui n’est plus utile. Pas si facile de faire ce geste, cela m’a demandé quelque temps de réflexion pour être convaincu de l’importance de ce geste symbolique. Une fois ce travail sur moi-même effectué, j’ai volontiers transmis cette canne avec l’espoir que le nouveau Compagnon réalise aussi ce geste de transmission un jour, à son tour. Le travail est rarement terminé…
- Qu'est-ce que la franc-maçonnerie signifie pour vous personnellement ? Et quel impact a-t-elle dans votre vie personnelle ?
Tolérance et fraternité. Voilà ce qui fait à mes yeux l’essence de la franc-maçonnerie et d’un véritable franc-maçon. L’impact, quant à lui, est fort, car je suis engagé dans plusieurs projets à la fois. Entre ma vie maçonnique et ma vie professionnelle, on peut dire que je suis une personne hyperactive. Sans doute trop, mais c’est un choix que j’ai fait, et que je souhaite assumer. La franc-maçonnerie m’a fait comprendre l’importance de la notion d’engagement. Engagement à faire de son mieux, sur le fond et la forme à la fois. C’est un engagement envers les autres, mais surtout envers soi-même. J’essaie, avec mes moyens, de m’y tenir et de ne pas me contenter du suffisant si j’estime pouvoir faire mieux. Si vous ajoutez à cela la mentalité suisse… c’est sans doute une tâche exigeante. J’essaie, avec mes moyens, de l’assumer en étant volontaire.
- Pouvez-vous présenter en quelques mots le Grand Orient de Suisse ?
Le Grand Orient de Suisse est une obédience libérale et adogmatique qui a été créée en 1959. Il se distingue par une large autonomie des Loges qui le constituent. Il reconnaît ès qualités tous les Maçons, à quelque Obédience qu’ils appartiennent. Les Loges du Grand Orient de Suisse sont libres de travailler ou non à la gloire du Grand Architecte de l’Univers. Elles n’imposent aucune croyance et ne sont pas contraintes à exposer la Bible ou un autre livre dit « sacré ». Nous avons des loges qui travaillent dans les différentes régions linguistiques suisses et quelques loges sur le territoire français à Lyon. En outre, le Grand Orient de Suisse, Obédience masculine, est en relation constante avec des Obédiences masculines, mixtes et féminines et chacune de ses Loges est libre de recevoir des Sœurs en visite. Enfin, comme toutes les Obédiences libérales, le Grand Orient de Suisse repose sur la liberté absolue de conscience et adhère, en tant que membre fondateur, à deux organismes internationaux : le Clipsas (fondé en 1961) qui réunit une centaine d’Obédiences de tous les continents et l’Alliance Maçonnique Européenne (fondée en 2004) qui regroupe 35 Obédiences d’Europe. Le GOS est donc une obédience maçonnique pleinement installée dans notre monde avec ses caractéristiques helvétiques qui participent à sa spécificité.
- Quels rites sont pratiqués majoritairement au sein du Grand Orient de Suisse ?
Le Grand Orient de Suisse est une Obédience « multi-rite ». C’est-à-dire qu’il regroupe des Loges travaillant à des rites différents. Cinq rites sont à ce jour en usage au Grand Orient de Suisse : Rite Français, Rite Ecossais Ancien Accepté, Rite Ecossais Rectifié, Rite Ruchon, et Rite de Schröder. En Suisse alémanique le Rite de Schröder est majoritaire. En Suisse romande et au Tessin, les loges pratiquent le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Ecossais Rectifié, le Rite Français et le Rite Ruchon (variante du Rite Ecossais Ancien et Accepté).
- Aujourd’hui, combien de Frères regroupe le Grand Orient de Suisse ?
Une grande institution avec un nombre limité de membres puisque nous sommes environ 350. Ce nombre qui peut paraître anormalement bas au regard des autres Grands Orients, c’est, je pense, le résultat d’un certain conservatisme qui a prévalu pendant longtemps. Cet état d’esprit a aujourd’hui largement évolué et le Grand Orient de Suisse est en train de faire, en quelque sorte, sa révolution. Nous avons décidé de communiquer plus largement sur nos activités, mais surtout de nous doter de moyens de communication efficaces. C’est une très belle obédience, riche de ses différences et qui, clairement, gagne à être connue. Je suis donc assez serein sur la trajectoire des effectifs du GOS sur les prochaines années.
- Comment interagissez-vous avec les autres obédiences ou autres organisations ?
Nous avons des contacts réguliers avec de nombreuses obédiences. Il y a les fameux Convents auxquels nous nous invitons réciproquement. Nous avons de nombreux traités d’amitiés que nous animons par des échanges et visites. Enfin, il y a les organisations maçonniques internationales, comme le Clipsas ou l’AME. Et puis, il y a les liens de proximité. En Suisse, nous avons créé la FMLS (Franc-Maçonnerie Libérale Suisse) qui regroupe le GOS, la GLFS (Grande Loge Féminine de Suisse) et la FSDH (Fédération Suisse du Droit Humain). La FMLS organise tous les deux ans un colloque mixte et interobédientiel sur un thème de société. En 6023, j’ai proposé plusieurs sujets de société et la majorité s’est accordée sur le thème du complotisme. Nous avons donc travaillé ensemble toute une journée sur ce thème et réalisé un rapport. Au-delà de ces éléments, nous organisons des conférences auxquelles nous invitons tous les frères et sœurs quelles que soient leurs obédiences. Nous travaillons ainsi ensemble au-delà de nos particularités. Il existe un projet que j’ai nommé provisoirement les universités d’été de la franc-maçonnerie universelle. Il s’agirait d’organiser à Genève un cycle de conférences autour d’un thème. L’idée serait de réussir à réunir toutes les obédiences dans un projet commun. Voilà un projet sans doute un peu utopiste, mais que je vais essayer de réaliser l’année prochaine.
- Quels sont les principes et les valeurs les plus importants de la franc-maçonnerie pour vous ?
Personnellement, j’ai pour habitude de dire qu’un bon maçon est celui qui a le cœur à la bonne place. Je suis personnellement sensible aux questions relatives aux discriminations. Je suis très heureux et fier que le principe de non-discrimination soit inscrit dans nos textes fondamentaux. Sans être politiques, nous ne pouvons accepter en notre sein quelque forme de discrimination que ce soit, ce serait contraire à nos valeurs fondamentales.
En quelle année êtes-vous devenu Grand Maître du Grand Orient de Suisse ?
Je suis devenu Grand Maître en novembre 6022, je viens tout juste de terminer ma première année au moment où j’écris ces notes. Un Grand Maître au GOS fait en principe trois années successivement, mais chaque année, les membres doivent décider par un vote de poursuivre ou non avec ledit Grand Maître. C’est le moment pour tous de se prononcer sur la direction proposée ou d’en changer. Mes frères le 11 novembre dernier à l’occasion de notre Convent à Zurich, ont décidé de me reconduire dans mon poste pour l’année à venir.
- Comment se passe votre expérience de mandat ? Que retenez-vous jusqu’à présent ? L’avant et le pendant ?
Je suis un peu frustré de ne pas pouvoir faire plus. Mon activité profane me contraint dans mes actions pour partie. J’essaie en tout cas de faire de mon mieux avec mes moyens. Heureusement, il y a une équipe. Un Grand Maître n’est pas seul. J’ai avec moi une équipe soudée et consciente de nos enjeux. A l’image du poste de Vénérable Maître, la charge de Grand Maître demande de savoir écouter et de donner une direction. Je pense qu’il faut avoir fait cet apprentissage du Vénéralat pour nous préparer. Dans mon atelier, il y a plusieurs anciens Grands Maîtres, je peux donc bénéficier aussi de leurs conseils pour mener ma mission. De manière générale, je consulte assez régulièrement et je demande l’aval du Conseil de l’Ordre pour les points importants. L’idée n’est pas de demander la permission, mais c’est surtout d’éviter les écueils et de s’assurer de l’engagement de tout le monde dans la même direction. Je constate une forte unité entre nous tous et un grand respect. Nous travaillons pour le bien de nos frères et expliquons les démarches. Et là encore, si un point important nécessite l’aval de nos loges, alors nous les consultons et suivons le résultat du vote. Nous sommes une obédience décentralisée et rien de plus souverain que l’avis des loges. Rien de bien sorcier, la démocratie participative finalement, car je prends en compte dans mes réflexions toutes les impulsions qui me sont envoyées. J’agis ensuite dans ce qui me semble être l’intérêt du Grand Orient de Suisse.
- Que souhaiteriez-vous mettre en place lors de ce mandat ?
J’ai évidemment des inflexions pour certains sujets. J’ai proposé des orientations qui, après échanges et débats, ont rencontré l’adhésion de la majorité. Pour cette première année, tournée essentiellement sur nous-mêmes, c’était de nous assurer une cohésion des membres et de faire en sorte que notre obédience se dote de moyens de communication moderne, de sorte à prendre sa pleine place dans notre monde. L’année deux sera tournée plus vers l’extérieur à l’image du Compagnon.
- Quels sont les objectifs déjà mis en place que vous avez envie de poursuivre ? Y a-t-il un sujet qui vous tient à cœur en particulier ?
Mes prédécesseurs ont tous travaillé à l’installation de nos idéaux. Il faut agir dans la continuité et, si cela est possible, avoir des actions opératives plus nombreuses et réussir à pérenniser celles qui sont déjà en place. Il s’agit, pour notre Conseil de l’Ordre en tout cas, d’animer notre obédience et que l’ensemble des membres soit fier d’en faire partie. Nous sommes en train de lancer des outils de communication, il sera donc important de les utiliser de manière régulière. Nous sommes une belle institution qui se cache trop. Si chacun est libre de ne pas se dévoiler, il me semble important pour une obédience comme la nôtre de communiquer sur son action. Nous travaillons également sur de nombreux sujets d’actualité, nous avons traité cette année du complotisme, de la guerre informationnelle, etc. Bientôt, nous traiterons des changements géopolitiques au travers d’une conférence organisée autour d’Alain Bauer. (https://my.weezevent.com/GOS). Nous traiterons également en début d’année prochaine du retour des œuvres d’art spoliées pendant la période coloniale et nous traiterons à un moment ou un autre des questions de discrimination. En résumé, nous ne faisons l’économie d’aucun sujet de réflexion, qu’il soit sociétal ou propre à notre obédience. Je crois que c’est le signe de sa bonne santé et qu’elle avance sereinement dans la direction du progrès.
- Est-ce qu’internet et les outils numériques sont apparus comme des outils pouvant vous aider ? Et comment ont-ils été bénéfiques ou au contraire défavorables ?
Nous sommes une société ancienne qui doit s’adapter à notre époque. C’est ce que nous avions comme objectif pour cette première année de mandat. Nous sommes en train de mettre à niveau les outils numériques du Grand Orient de Suisse. Je vous invite à aller visiter notre nouveau site www.g-o-s.org et de vous inscrite à notre newsletter pour suivre nos activités. Dans cette démarche, il s’agit de ne pas laisser derrière nous les anciens. Nous avons donc créé un « helpdesk », un centre d’assistance au niveau de l’Obédience. Tous les frères pourront à terme entrer en contact avec ce service qui sera chargé de les aider à installer et utiliser les outils modernes que nous mettons en place. L’étape suivante, sera de mettre à jour aussi un blog nommé « Les cahiers bleus » ainsi que d’aider les loges à se doter d’un site internet et de les accompagner dans leur communication. C’est une transition qui demande de l’énergie et du temps, mais elle fera son œuvre à terme. Comme pour tous les outils, si nous les utilisons mal, nous pouvons rencontrer des difficultés. Il s’agit de poser un cadre pour que cette communication soit maîtrisée et nous gérerons au mieux les difficultés éventuelles. Nos idéaux sont nobles, il s’agit de les expliquer et de laisser ainsi moins d’espace aux fantasmes. En tout cas, je ne pense pas que de laisser la parole uniquement à l’obscurantisme soit dans l’intérêt de nos sociétés.
- Y a-t-il un sujet que vous estimez insuffisamment pris en compte dans les thèmes de réflexions des loges ?
Il n’y a pas de tabou chez nous et les loges font réellement groupe lorsqu’elles travaillent ensemble à un sujet d’étude. Les Vénérables Maîtres de nos ateliers ont ce rôle très important à jouer pour que les membres puissent sentir leur appartenance à notre obédience. Nous sommes une obédience décentralisée et ce travail de relais est primordial. Nous allons prochainement consulter nos loges pour qu’elles déterminent les grands chantiers à mener pour assurer le développement heureux du Grand Orient de Suisse dans l’avenir.
- Comment la franc-maçonnerie évolue-t-elle pour s'adapter aux changements du monde moderne ?
Nous sommes sans doute trop discrets dans un monde qui nous lance des chalenges quotidiens. La période particulièrement animée que nous vivons actuellement ne fait que le confirmer. Nous sommes dans une période de modification des équilibres géopolitiques, ce qui ne restera pas sans effet sur les valeurs universalistes que nous défendons. Une obédience libérale et adogmatique comme la nôtre doit savoir interagir avec le monde qui l’entoure et faire entendre sa voix. Évidemment, il faut avancer avec réflexion, mais il me semble important de faire entendre et défendre nos valeurs.
- Quel regard portez-vous sur l’avenir de la franc-maçonnerie ?
L’avenir, il s’agit de l’inventer, nous disait St Exupéry. Il sera à l’image de notre engagement et de notre dynamisme. Les choix des Vénérables Maîtres, des membres du Conseil de l’Ordre et du Grand Maître sont déterminants.
- Que faut-il faire pour entrer en Loge ?
« Frapper à la porte du Temple » comme nous dit l’expression consacrée. Dans notre monde moderne, si vous ne connaissez pas un franc-maçon personnellement, il suffit de postuler en ligne sur notre site internet https://grand-orient-suisse.org/devenir-franc-macon/ et l’aventure commencera.
- Que pourriez-vous dire à un profane qui souhaiterait rejoindre la Franc-Maçonnerie aujourd’hui ?
L’aventure est belle, mais exigeante.
Écouter son cœur sera toujours le meilleur guide.
- Nous allons conclure ainsi cette interview. Y a-t-il des points que vous souhaiteriez partager avec nous ?
Je vous remercie pour ces questions et de nous donner l’occasion de présenter le Grand Orient de Suisse. Si vos lecteurs ont des questions relatives à notre obédience, ils peuvent nous contacter directement depuis notre site internet. Merci
Lausanne, le 13 novembre 6023
Christophe Ravel
Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de Suisse
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