Le Soleil et la Lune en franc-maçonnerie : un symbolisme universel ?
Parmi les symboles maçonniques qui ne sont pas directement tirés de la symbolique des bâtisseurs, le Soleil et la Lune occupent une place de choix en franc-maçonnerie. On peut bien sûr les rapprocher de la Voûte Étoilée qui recouvre la Loge, mais s’ils sont bien des corps célestes, ils n’en ont pas moins leur signification propre. Le Soleil et la Lune, en franc-maçonnerie , ornent le plus souvent la paroi orientale de la Loge et s’offrent ainsi immédiatement au regard de celui qui entre, et selon de nombreux rituels, ce sont eux que le nouvel Apprenti aperçoit en premier à la chute du bandeau, avec le Vénérable. Quelle est la signification du Soleil et de la Lune en franc-maçonnerie ? Ce double symbole est-il universel ? Retrouve-t-on le Soleil et la Lune interprétés de la même manière qu’en franc-maçonnerie dans d’autres cultures ou civilisations ?
Significations maçonniques du Soleil dans les anciens rituels
Le Soleil apparut d’abord seul dans les anciens rituels maçonniques. Il est mentionné dès le plus ancien manuscrit maçonnique connu (le manuscrit d’Edimbourg, 1696), où il est présenté, avec le firmament, comme le témoin du serment que va prêter le futur maçon. Il représente ainsi l’œil de Dieu qui met toutes choses en lumière.
On retrouve ensuite le Soleil dans le manuscrit "Sloane" n° 3329 (vers 1700), où l’on apprend qu’il est l’une des trois Lumières de la Loge, avec le Maître et l’Équerre. Il n’est pas encore question de la Lune. Et le manuscrit "Dumfries" n° 4, vers 1710, apporte une nouvelle précision, car il est le premier à lier le Soleil levant à l’ouverture des Travaux, et le couchant à la fermeture. Pour ce manuscrit, la Loge ne compte que ces deux Lumières. L’idée que le Maître se tient à l’Orient pour observer le Soleil levant et mettre les ouvriers au travail se généralise alors, comme l’atteste par exemple le manuscrit "Trinity College" de 1711. Et le modèle se complète par la suite par la mention du Soleil à son méridien, c’est-à-dire au Zénith, et par son association avec la place du Maître et des deux Surveillants en usage dans les rituels des Rites de type "Ancien" (Rites anglo-saxons, Rite Écossais Ancien Accepté…) : le Vénérable à l’Orient pour mettre les maçons à l’ouvrage, le 2d Surveillent au Midi pour marquer le temps du repos, et le 1er Surveillant à l’Occident pour fermer les travaux.
Jusqu’aux années 1725, le Soleil semble donc avoir eu deux significations dans les rituels maçonniques : relié au serment, il devenait une image de la Justice divine qui observe le monde ; et relié à la Loge et à ses Travaux, il représentait la Puissance qui régit la nature entre son lever et son coucher, lesquels ponctuent l’ouvrage maçonnique. Et c’est assez logique : les anciens rituels restaient probablement proches des rituels opératifs et dans cette perspective, seul le Soleil importait, car on ne travaillait pas la nuit.
Apparition de la Lune dans le symbolisme maçonnique
L’apparition de la Lune dans les rituels dut sans doute attendre que la dimension opérative cède progressivement le pas à une lecture plus spirituelle et ésotérique. Et c’est en 1726 que l’on trouve la première mention de la Lune, dans un manuscrit maçonnique à l’empreinte chrétienne très prononcée, le "Graham". Ce manuscrit nous apprend que la Loge compte douze Lumières, ou Joyaux : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, puis le Soleil, la Lune, le Maître Maçon, l’Équerre, la Règle, le Plomb [probablement le Niveau], le Fil [probablement la Perpendiculaire], le Maillet et le Ciseau. Le Soleil garde une certaine primauté, car on lit qu’il "procure la lumière jour et nuit". Mais la nuit, qui diffuse cette lumière sur la Terre ? C’est là qu’intervient la Lune, astre mystérieux de la nuit, symboliquement lié à l’eau : "Quant à la lune c'est un corps obscur issu de l'eau, elle reçoit sa lumière du soleil et est également reine des eaux qui sont le meilleur des niveaux".
La Lune sera désormais associée au Soleil dans la Loge, et les trois Lumières que découvre le nouvel Apprenti ne sont plus le Soleil, le Maître et l’Équerre, mais bien le Soleil, la Lune et le Maître. Les rituels tendront ainsi plus à l’introspection, au travail intérieur, à la découverte de la dimension inconsciente de l’être. L’apparition de la Lune est indéniablement le signe d’un accroissement de la dimension ésotérique et psychologique de la franc-maçonnerie.
Avec elle vont être valorisés d’autres symboles qui feront de la Loge un vaste système binaire dont la dualité est appelée à se sublimer et à se réconcilier par le principe ternaire : les colonnes B et J, les cases noires et blanches du Pavé Mosaïque. Le Soleil devient donc un symbole actif, expansif, masculin, tandis que la Lune est comprise comme passive, réceptive et féminine. Et l’on pourra aisément y ajouter un symbolisme alchimique, le Soleil représentant l’Or ou le Soufre, et la Lune l’Argent ou le Mercure.
L’initiation maçonnique devient donc clairement une aventure intérieure conduisant celui qui s’engage sur cette voie à accomplir ce qu’au XXe siècle, le psychologue analytique Carl Gustav Jung appellera l’individuation, réconciliation des opposés, signe de la maturité psychologique.
Le symbolisme maçonnique du Soleil et de la Lune est-il universel ?
Quand on étudie le symbolisme, on a peut-être trop tendance à faire du "concordisme", c’est-à-dire à chercher ce qui unit et relie les différents systèmes symboliques issus de cultures différentes. Le symbolisme est parfois un peu trop hâtivement considéré comme le langage spirituel universel. Oui, le symbolisme est universel, il est manifestement l’expression de la vie intra-psychique humaine. Il est comparable à un langage, et en ce sens, il est universel. Mais de même qu’il existe des langues différentes, qui se sont constituées au sein de cultures très éloignées, le symbolisme s’inscrit toujours dans un contexte culturel et donc linguistique distinct.
Tout ce que l’on peut dire du Soleil et de la Lune en franc-maçonnerie sur le plan symbolique sera parfois universel et parfois culturellement situé. Sera universel ce qui repose sur l’observation des phénomènes en eux-mêmes : que le Soleil et la Lune se lèvent à l’Orient et se couchent à l’Occident est universel ; que le Soleil est toujours plein, alors que la Lune est tantôt croissante, pleine, décroissante ou noire est universel.
Mais que le Soleil soit masculin et la Lune féminine, comme c’est le cas dans la symbolique maçonnique, voilà qui est loin d’être universel. N’oublions pas qu’il n’existe pas de pensée sans langage. Nos concepts, les plus élevés soient-ils, sont nécessairement déterminés par les mots dont nous disposons et plus globalement par la langue que nous parlons.
L’évidente "masculinité"du Soleil et la non moins évidente "féminité" de la Lune ne s’imposent que pour les peuples qui ont ainsi genré ces deux astres. C’est la cas de la plupart des langues européennes, à la suite du latin et du grec. Seul l’Allemand inverse les attributions (Die Sonne, der Mond, littéralement La Soleil et Le Lune), et le Gaélique irlandais semble leur donner à tous deux le genre féminin. L’hébreu quant à lui les met les deux au masculin, mais que dire alors des nombreuses langues qui ignorent grammaticalement les genres ou ne les appliquent qu’aux pronoms personnels, comme par exemple le chinois, le thaï ou le malgache…
Bien qu’apparemment universels, parce que cosmiques et offerts à l’observation de tous, le Soleil et la Lune prennent en franc-maçonnerie une connotation symbolique qui est profondément enracinée dans la culture européenne et dans ses différentes langues. Ils sont peut-être le plus flagrant indice que le franc-maçonnerie ne pourra être transplantée et acceptée dans d’autres cultures qu’au travers d’une réinterprétation et d’une appropriation symboliques. Sans quoi elle sera condamnée à rester un corps étranger, incapable d’offrir aux hommes un chemin d’évolution intérieure pertinent.
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