Le Banquet maçonnique
Ce détail est souvent ignoré des profanes, mais le Banquet maçonnique, sous différentes formes et appellations, fait partie intégrante des pratiques des francs-maçons, au point qu’il est souvent pourvu d’une forme rituelle. Le Banquet maçonnique est en effet une excellente manière de célébrer la convivialité et la fraternité, et il n’est pas étonnant que les francs-maçons en aient fait un usage constant. Mais qu’est-ce qu’un Banquet maçonnique ? Quelles formes peut-il prendre ? Et quelles sont les origines du Banquet maçonnique ?
Origines du Banquet maçonnique en Angleterre
L’usage de partager un repas commun existe depuis toujours en franc-maçonnerie. Les Constitutions d’Anderson de 1723 mentionnent déjà cet usage, en mettant en garde les Frères contre les excès et l’ivrognerie ! Outre les Banquets maçonniques qui avaient lieu dans les Loges particulières, les Constitutions décrivent également le Banquet qui avait lieu à l’occasion de l’assemblée annuelle de la Grande Loge.
Le Banquet maçonnique n’est manifestement pas d’une invention de la Grande Loge de Londres, mais existait bien sous une forme ou une autre dans les premières Loges spéculatives du XVIIe siècle. Dans "The Natural History of Staffordshire", publié en 1686, Robert Plot nous offre la plus ancienne description de la réception d’un franc-maçon et affirme qu’avant la cérémonie, une collation payée par le candidat était offerte à tous les membres de la Loge.
L’usage du Banquet a été conservé avec la plus grande rigueur par la franc-maçonnerie anglaise. Toute Tenue rituelle est obligatoirement suivie d’un Banquet, au cours duquel de prises de parole sont possibles – ce qui n’est pas possible au cours du rituel lui-même – et des toasts sont portés. Les tables sont disposées en fer à Cheval, le Vénérable siège au milieu et les deux Surveillants aux extrémités. L’importance du Banquet dans la franc-maçonnerie anglaise est si grande que les Officiers qui en sont responsables (les Stewarts, Intendant en français) sont particulièrement honorés. À certaines occasions, des "Ladies Nights" sont organisées, c’est-à-dire des Banquets ouverts aux épouses et veuves de francs-maçons.
Le Banquet maçonnique en France et en Europe
En passant sur le continent européen, et notamment en France, la franc-maçonnerie allait conserver l’usage du Banquet maçonnique, avec la même disposition des tables. On parla alors de Banquet d’ordre, mais les usages allaient différer des banquets anglais. En France, le rituel du Banquet (qualifié de Travaux de Table) s’inspira rapidement des usages des Loges militaires. Une terminologie martiale se développa alors : les verres devenaient "canons", le vin "poudre", les couteaux "glaives", les serviettes "drapeaux" etc. Un certain nombre de toasts officiels étaient prévus, ainsi que divers discours.
Au XVIIIe siècle, un tel Banquet était tenu obligatoirement après chaque Tenue, faisant ainsi partie intégrante du rituel. La prise de parole des Frères, la Chaîne d’Union et le passage du Tronc de la Veuve, qui appartiennent aujourd’hui au rituel dans le Temple, n’apparaissent alors que lors du Banquet. Au XIXe siècle, ces éléments furent déplacés dans le rituel lui-même et l’usage du Banquet se modifia, selon les Obédiences. Le plus souvent, le règlement de l’Obédience prévoit que les Travaux de Table doivent être effectués une fois par année, par exemple lors d’une des St-Jean. Les repas qui suivent les Tenues ordinaire devinrent ainsi souvent plus simples, plus frugaux, et moins rituels, prenant le nom d’agape (ou d’agapes, au pluriel). À l’occasion de la St-Jean d’hiver, de nombreuses Loges organisent en outre des banquets ouverts aux épouses des francs-maçons, et parfois à leur famille. On désigne ces repas de Banquets blancs.
La sobriété recommandée par les Constitutions d’Anderson semble avoir été généralement appliquée, mais dès le XVIIIe siècle, les francs-maçons eurent la réputation d’être des bons-vivants, parfois plus intéressés par la bonne chère que par la philosophie ! Et il est piquant de voir le profit qu’en tire Jacques-Étienne Marconis de Nègre pour le rituel d’initiation de son Rite de Memphis, dans la tirade qui précède la présentation du Calice d’amertume au candidat : "L'idée qu'on se forme de nous dans le monde est fausse […], on nous a représentés comme une société de gastronomes : vous allez connaître la boisson qui sert à nos repas." Et là-dessus, le candidat boit le breuvage d’amertume !
Le Banquet maçonnique dans les hauts grades
Les hauts grades ayant connu un véritable engouement en France et en Europe dès les années 1740, il n’est pas étonnant qu’ils aient à leur tour développé leurs propres formes de Banquets maçonniques. Ils se sont le plus souvent inspirés directement des Travaux de Table de la Loge symbolique, changeant parfois quelques termes et en adaptant quelque peu la cérémonie pour correspondre à la symbolique du grade.
Ainsi, par exemple, pour le Rite Français, au grade d’Élu, les couteaux sont dits "Poignards" et les verres "Urnes" ; au grade d’Écossais, les verres sont des "Coupes" ; et au Rose-Croix, la table est nommée "Autel" et les verres "Calices". Et pour le Rite Écossais Ancien Accepté, au 24e degré, les ustensiles utilisés gardent les mêmes noms que dans la Loge symbolique, mais la table doit impérativement être ronde…
Mais une véritable originalité apparaît au grade de Rose-Croix, qui nous rappelle que le repas n’est pas qu’un simple acte de sociabilité et de convivialité, mais peut également revêtir une véritable dimension spirituelle. Ainsi, après la fermeture des Travaux, une cérémonie particulière a lieu, qu’on nomme le "Troisième Pont de Rose-Croix" ou la "Cène" : elle consiste à partager rituellement du pain et du vin, au cours d’un rituel qui évoque à la fois la Pâque juive et l’Eucharistie chrétienne et au terme duquel le pain restant est brûlé.
Et une fois par année, le Jeudi Saint, une cérémonie plus étrange encore était célébrée, si l’on en croit les rituels du XVIIIe siècle. Les Frères mangeaient ensemble un agneau rôti. L’agneau devait être entier, et l’on en coupait la tête et les pattes avant de les brûler dans un réchaud.
Pour conclure
Dans toutes les civilisations, le repas pris en commun dépasse le simple fait de se sustenter. Il sert à renforcer les liens entre les membres d’une communauté ou d’une famille. Mais il a souvent pris une dimension sacrée et a été intégré aux rites de nombreuses religions et traditions spirituelles.
Le Banquet maçonnique participe de ces deux réalités. Simple repas fraternel pris en commun dans un sentiment de fraternité ou repas mystique plongeant ses racines dans les plus anciennes traditions sacrées, il est certain que le Banquet maçonnique est chargé d’une profonde signification, et que le franc-maçon qui y prend part ne saurait y rester indifférent.
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