Jean-Baptiste Willermoz, un franc-maçon mystique
Jean-Baptiste Willermoz. Un nom bien connu de tous les francs-maçons, et tout particulièrement des membres du Rite Écossais Rectifié, dont il est le principal auteur. Jean-Baptiste Willermoz est sans doute l’un des francs-maçons les plus illustres de la fin du XVIIIe siècle et l’un des principaux représentants du courant illuministe et mystique de la franc-maçonnerie. Dans sa soif de secret maçonnique, Jean-Baptiste Willermoz fut probablement l’un des meilleurs connaisseurs des systèmes maçonniques de son temps et il collectionna un grand nombre de rituels manuscrits. Il disait lui-même avoir reçu plus de soixante degrés maçonniques et joua un rôle considérable dans le développement des hauts grades. C’est la destinée et la personnalité de Jean-Baptiste Willermoz, dont le nom est souvent plus connu que l’histoire, que nous allons tenter de découvrir.
Un franc-maçon en quête perpétuelle
Fils aîné d’une fratrie de 13 enfants, Jean-Baptiste Willermoz est né en 1730 à Saint-Claude, en Franche-Comté, dans l’actuel département du Jura. Son père, Claude Catherin Willermoz, était mercier et toute la famille était très religieuse. L’un des frères de Jean-Baptiste devint même prêtre. À l’âge de 15 ans, Jean-Baptiste fut placé comme apprenti chez un mercier à Lyon. Entreprenant, industrieux et ambitieux, il se retrouva à la tête de son propre commerce de soie à l’âge de 24 ans, sans abandonner sa ferveur religieuse.
Catholique fervent et assidu, Willermoz n’était cependant pas satisfait de la simple foi. C’était un esprit en recherche, avide de percer les mystères des relations entre l’Homme et Dieu, et comme nombre de ses contemporains, il pensait que la franc-maçonnerie cachait les sublimes secrets qui répondraient aux aspirations les plus profondes de son âme. C’est pourquoi il fut reçu franc-maçon à l’âge de 20 ans, probablement au sein de la plus ancienne loge lyonnaise, Les Amis Choisis. A l’âge de 22 ans, il devint Vénérable de cette loge, puis l’année suivante, soit en 1753, il fut l’un des fondateurs d’une nouvelle loge, la Parfaite Amitié, dont il devint également le Vénérable.

Médaille représentant Jean-Baptiste Willermoz
La carrière maçonnique de Willermoz commençait très fort, et il n’allait pas en rester là. La pratique des trois premiers grades ne lui révélèrent pas les profonds mystères auxquels il aspirait, mais il n’y avait pas encore de hauts grades à Lyon dans les années 1750. Ces degrés, qui fleurissaient un peu partout en France, étaient considérés avec méfiance par la Grande Loge de France, qui se montrait réticente à les reconnaître. Willermoz était convaincu que c’est dans les hauts grades que se cachaient les vrais secrets maçonniques et que les degrés symboliques n’en étaient que le porche d’entrée. Il s’attela à recevoir le plus de hauts grades et à se procurer le plus de rituels manuscrits possible. Il devint ainsi à n’en pas douter l’un des meilleurs connaisseurs de tous les hauts grades en usage en son temps, et il avoua avoir reçu plus de soixante degrés, de différents systèmes.
En 1760, Willermoz fut l’un des fondateurs de la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon, sorte de Grande Loge provinciale opérant dans le giron de la Grande Loge de France. Willermoz obtint même de la Grande Loge de France et de son Grand Maître le comte Clermont (1709-1771) une dérogation autorisant les loges lyonnaises à pratiquer les hauts grades écossais. La Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon développa ainsi un système en sept degrés, y compris les grades symboliques. Mais les connaissances que Willermoz ne cessait d’acquérir allaient amener la Grande Loge lyonnaise à adopter un système en 25 grades dès la deuxième année de son existence. Ce système était couronné par un grade de Chevalier de l’Aigle et du Pélican, Chevalier de St-André ou Maçon d’Hérédom, qui n’est autre que le Chevalier Rose-Croix en usage aujourd’hui sous différentes formes au Rite Écossais Ancien Accepté, au Rite Français Traditionnel et dans d’autres rites. C’est la première apparition de ce grade sous cette forme et il est vraisemblable que Willermoz en soit l’auteur. Il faut par ailleurs remarquer que le Kadosh ne figurait pas dans l’échelle des degrés pratiqués à la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon : Willermoz avait découvert ce grade grâce à des Frères de Metz, mais l’ayant jugé odieux et contraire aux valeurs maçonniques, il s’y opposa toujours.
Perpétuellement en quête du vrai secret maçonnique, Willermoz restait insatisfait des hauts grades usuels. Avec son frère Pierre-François Willermoz (1735-1799), médecin, chimiste et contributeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, il créa en 1763 un chapitre de Chevaliers de l’Aigle Noir, très secret et inconnu des francs-maçons ordinaires. On y cultivait l’hermétisme et l’alchimie. Accaparé par les tâches administratives de la Grande Loge lyonnaise, dont il fut brièvement le Grand Maître puis durablement le garde des sceaux et l’archiviste, Willermoz fut empêché d’y participer activement. Quelle déception, et même quel sentiment dégoût allait-il éprouver quand il s’aperçut que ce chapitre se consacrait essentiellement à une quête matérialiste, la recherche de la chrysopée, c’est-à-dire la production d’or par transmutation. S’il s’était intéressé à l’alchimie quelques années auparavant, il s’en était rapidement détourné, car pour lui, le vrai secret maçonnique ne pouvait être que purement spirituel et ne pouvait être entaché d’aucune considération matérielle.
Une rencontre déterminante pour Willermoz
C’est en 1767 que, de passage à Paris, Willermoz fit la rencontre de l’homme qui allait à jamais changer son existence et donner une nouvelle orientation à sa vie maçonnique et spirituelle : Joachim Martinès de Pasqually (1727(?)-1774). Ce personnage énigmatique, que l’on pense avoir été d’origine portugaise ou espagnole et descendant de marranes (juifs convertis de force au catholicisme dans la péninsule ibérique dès le XVe siècle), avait développé une doctrine spirituelle teintée de gnose, de mystique pythagoricienne et de kabbale, qui culminait dans une pratique de type occultiste. De manière très résumée, Martinès considérait que l’Homme originel était émané de Dieu garder les anges rebelles, captifs depuis la chute de Satan. Mais corrompu par ces esprits mauvais, l’Homme serait tombé à son tour. Le but de la doctrine martinézienne était de ramener l’Homme à son origine première. Mais selon Martinès, la Bible décrivait deux lignées d’hommes, la descendance de Caïn, réprouvée, et celle de Seth, la lignée des élus, qui seuls pouvaient espérer être réintégrés dans leur pureté originelle. Et pour attester que l’on était descendant de Seth, il fallait se livrer à des pratiques théurgiques extrêmement complexes pour entrer en contact avec des entités spirituelles, ce que les descendants de Caïn étaient réputés incapables de réaliser.
Martinès avait créé un ordre para-maçonnique pour abriter sa doctrine et ses pratiques, l’Ordre des Élus Coens de l’Univers, qui culminait dans le grade de Réau-Croix. Cet ordre représentait une sorte de sacerdoce occulte qui recrutait avec la plus grande prudence les francs-maçons qui semblaient dignes de découvrir ces mystères. Le siège de l’Ordre était situé à Bordeaux, où vivait Martinès, mais il avait également créé un Tribunal Souverain de son Ordre à Paris, sous la présidence d’un éminent franc-maçon de la Grande Loge de France, Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie (1731-1821), natif de Lyon et ami de Willermoz. C’est lors d’une visite que Willermoz lui rendait à Paris en 1767 que Bacon lui révéla l’existence d’un ordre très secret qui répondait aux attentes des francs-maçons les plus exigeants et l’invita à s’y joindre. Willermoz accepta sans hésiter et fut initié par Martinès lui-même. Il pensait avoir enfin trouvé ce qu’il cherchait depuis tant d’années, embrassa la doctrine de Martinès avec enthousiasme et obtint de pouvoir ouvrir un Grand Temple Coen Lyon. Il se lia en outre d’amitié avec Louis-Claude de Saint-Martin, dit "Le Philosophe Inconnu" (1743-1803), secrétaire particulier de Martinès et lointain inspirateur du Martinisme moderne.

Diplôme de Réau-Croix accordé à Willermoz
S’il pensait avoir trouvé la connaissance qu’il avait si longtemps cherchée, Willermoz n’en parvint pas pour autant à obtenir la moindre manifestation surnaturelle lors des opérations théurgiques, auxquelles il se livrait avec assiduité et méticulosité. C’est l’un des aspects les plus touchants du personnage de Willermoz, que l’on voit ainsi persister à pratiquer avec la plus grande persévérance, sur les conseils épistolaires d’un Martinès qui trouve toujours de bonnes excuses pour expliquer ses échecs. Plus d’un se serait découragé, mais pas Willermoz !
À partir de 1767, Willermoz se consacra principalement à la cause des Élus Coens, délaissant passablement la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon. Il faut dire à sa décharge qu’en 1768, une ordonnance du lieutenant général de police Sartine suspendait officiellement les activités maçonniques dans tout le royaume de France, suite à une rixe mémorable à l’entrée d’un temple parisien en décembre 1772. Même si cette mesure ne fut jamais complètement appliquée, la vie maçonnique française n’en fut pas moins ralentie jusqu’en 1774.
En 1772, Martinès embarqua pour Saint-Domingue pour y prendre possession d’un héritage. Il promettait revenir après une année, et continua à correspondre avec ses disciples restés en France, à un rythme évidemment moins soutenu qu’avant. Mais il tomba malade et mourut à Saint-Domingue en 1774. À partir de là, ses disciples commencèrent à se disperser et la plupart des Temples reprirent la forme de simples loges au sein de la Grande Loge de France, devenue depuis 1773 le Grand Orient de France. Seul subsista le Temple de Lyon, présidé par Willermoz. Mais privé de son fondateur, l’Ordre des Élus Coens ne pouvait pas survivre longtemps, d’autant plus que son nouveau chef de fait, Willermoz, n’avait jamais obtenu aucune manifestation lors de ses opérations. Il fallait à Willermoz une nouvelle structure pour y abriter la doctrine martinézienne, mais laquelle ?
La Stricte Observance Templière, une nouvelle opportunité pour Willermoz
Livré à lui-même depuis le départ de Martinès, Willermoz s’était intéressé à nouveau à la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon, espérant en faire le noyau d’un nouveau Rite à connotation martinézienne dont il serait le fondateur. La tâche s’avérait difficile, car la Grande Loge était léthargique depuis 1768 et de plus, pour créer un nouveau rite, il fallait forcément trouver une légende qui puisse le légitimer. Willermoz se méfiait de la légende rosicrucienne, trop susceptible pour lui déboucher sur l’alchimie, qu’il rejetait. De même, il excluait la légende Templière, qu’il ne connaissait que sous la forme du Kadosh, qui lui faisait horreur.
C’est alors qu’une opportunité inattendue se présenta à Willermoz, sous la forme d’un ordre maçonnique se réclamant des Templiers sans pour autant adopter la logique de vengeance des Kadosh : la Stricte Observance Templière allemande, fondée en 1751 par le baron de Hund (1722-1776).
En 1766 déjà, la loge St-Jean des Voyageurs à l’orient de Dresde, membre de la Stricte Observance Templière, avait tenté d’entrer en correspondance avec la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon, mais la lettre était arrivée lors d’une absence de Willermoz, garde des sceaux et archiviste de la Grande Loge, qui n’en avait jamais eu connaissance. Mais il est probable qu’en 1766, Willermoz n’aurait pas vu un intérêt particulier à être en contact avec une loge de rite templier en Allemagne.

Le baron de Hund
Il en alla tout autrement quand, en 1772, la loge La Candeur de Strasbourg fit à Willermoz l’éloge de la Stricte Observance Templière (connue des francs-maçons ordinaires sous le nom de Maçonnerie Réformée de Dresde), à laquelle elle venait d’adhérer. Les propos des Frères strasbourgeois laissaient entendre qu’ils avaient découvert un Ordre maçonnique qui, à la différence des autres, connaissait les vrais buts de la franc-maçonnerie. Il n’en fallait pas plus pour attirer l’attention de Willermoz, qui en déduisit un peu hâtivement que cet ordre abritait certainement une doctrine spirituelle très élevée, comparable à celle de Martinès. Il noua alors d’étroites relations avec les Frères strasbourgeois, commença à se renseigner sur le système allemand et écrivit au baron de Hund, pour évoquer une éventuelle demande d’adhésion des Frères lyonnais.
Ayant appris que la Stricte Observance Templière se donnait pour but de rétablir l’Ordre du Temple, Willermoz se montra prudent et demanda des garanties que le système templier allemand ne couvrait rien de répréhensible aux yeux des lois du royaume et de l’Église, et qu’il n’avait rien à voir avec le Kadosh. Il demanda également que les loges symboliques lyonnaises restent placées sous la juridiction du Grand Orient de France et que seuls les hauts grades soient placés sous la direction de l’Ordre. Le baron Weiler, qui avait déjà installé la Ve Province de l’Ordre (Bourgogne) à Strasbourg en 1772 fut chargé d’envoyer aux Frères lyonnais les documents nécessaires à une adhésion et se rendit à Lyon en mai 1773. Les tractations ayant abouti, une vingtaine de Frères lyonnais, qui devaient constituer le nouveau Chapitre, furent reçus Chevaliers le 21 juillet 1773, et le 25 juillet fut installée la IIe Province de l’Ordre (Auvergne). Les 11 et 13 août 1773, tous les nouveaux Chevaliers faisaient leur Profession Solennelle, atteignant ainsi le plus haut degré de l’Ordre, celui de Chevalier Profès.
Ayant rempli sa mission à Lyon, Weiler poursuivit sa tâche en se rendant à Montpellier et à Bordeaux, où il installa la IIIe Province de l’Ordre (Occitanie). La France comptait désormais trois Provinces Templières et bientôt quatre, puisque les Frères de Montpellier, estimant que le zèle des Chevaliers bordelais était trop tiède, se séparèrent de la IIIe Province pour en créer une nouvelle, celle de Septimanie. Les Provinces de l’Ordre dépassaient les frontières du royaume de France, puisque la IIe (Bourgogne) comprenait la Suisse alémanique, et la Ve (Auvergne) étendait sa juridiction sur la Suisse romande, Genève et le duché de Savoie.
Le succès semblait complet, mais Willermoz avait-il pour autant trouvé la structure qui lui permettait de faire vivre et de diffuser les doctrines de Martinès ? C’est ce que nous découvrirons dans un prochain article.

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